12 février 2025

Les raisons pour lesquelles la responsabilité élargie des producteurs et l’économie circulaire exigent une action dans la salle du conseil

Par Radha Curpen, Sharon G. K. Singh, Laurie Wright et Claire Lingley, McMillan LLP

Le concept de responsabilité élargie des producteurs (REP), qui rend les producteurs responsables de leurs produits tout au long de leur cycle de vie, y compris au stade de la post-consommation, n’est pas nouveau. Toutefois, à mesure que les efforts visant à promouvoir une économie plus circulaire s’intensifient, la pression publique a renforcé la responsabilité des sociétés, et donc de leurs administrateurs, à l’égard des produits qu’elles mettent sur le marché et concernant les coûts, tant économiques qu’environnementaux, liés aux obligations accrues en matière de recyclage. Le potentiel d’atténuation des facteurs de stress liés aux changements climatiques, associé à l’argument selon lequel de telles politiques favorisent une meilleure concurrence et conduisent à des avantages pour les consommateurs et à des gains économiques plus larges, a conduit les décideurs politiques du monde entier à répondre aux appels du public pour mettre en place des mesures visant à soutenir et à évoluer vers une économie plus circulaire, basée sur la réutilisation et la régénération des matériaux et des produits.

Des lois ont été adoptées dans le monde entier, y compris au Canada, pour mettre en place des régimes de REP. On assiste également à l’émergence de mesures législatives, également appelées « droit à la réparation », qui visent à améliorer l’accès des consommateurs à la réparation des biens achetés. Bien qu’il s’agisse de cadres réglementaires distincts, les régimes de REP et la législation sur le « droit à la réparation » font partie des fondements de l’économie circulaire.

Mise en scène – le cadre législatif

Canada

Au Canada, les responsabilités en gestion des déchets sont partagées entre les gouvernements provinciaux, territoriaux et fédéral.

Au niveau provincial, il existe divers programmes de REP visant à transférer la responsabilité et le coût financier du recyclage de certains matériaux aux producteurs de ces matériaux.

En Colombie-Britannique, la province a mis en œuvre une approche de REP dirigée par l’industrie, qui exige des producteurs de produits réglementés qu’ils gèrent le cycle de vie de leurs produits, y compris la gestion de la fin de vie conformément au Recycling Regulation (règlement sur le recyclage). Le gouvernement de la Colombie-Britannique a également élaboré un plan d’action quinquennal de responsabilité élargie des producteurs1, qui tirera à sa fin l’année prochaine en 2026, afin de faire progresser les initiatives de recyclage et de REP et d’établir une meilleure façon de traiter les déchets. Parmi les principales priorités, citons l’élargissement des catégories de produits aux batteries des véhicules hybrides et électriques et à d’autres types de batteries, aux matelas et aux fondations, aux produits électroniques émergents et aux produits modérément plus dangereux. Comme il est indiqué dans le plan d’action, une étude réalisée en 2016 sur le système de REP de la Colombie-Britannique a révélé qu’en une seule année, le programme a permis de récupérer des matériaux d’une valeur de 46 millions de dollars et de réduire les émissions de gaz à effet de serre de plus de 200 000 tonnes2.

En Ontario, la province a récemment adopté le Règlement Boîte bleue3, qui rend les producteurs entièrement et financièrement responsables de l’élimination et du recyclage de leurs produits et emballages. En vertu du Règlement Boîte bleue, une personne est considérée comme un « producteur », et donc responsable, si elle fournit aux consommateurs de l’Ontario des matériaux pour boîtes bleues (emballages, produits en papier ou produits assimilables à un emballage) composés de papier, de verre, de métal ou de plastique, ou d’une combinaison de ces matériaux. La définition de producteur englobe un large éventail de catégories de détaillants. Par exemple, un producteur comprend d’abord un titulaire de marque résident (détaillants qui vendent leurs propres lignes de produits de marque). S’il n’y a pas de titulaire de marque au Canada, l’obligation incombera à l’importateur résident. Dans d’autres cas, les détaillants qui fournissent des produits aux consommateurs peuvent être considérés comme des « producteurs » et donc tenus pour responsables.

Signalons que ces règlements ont du mordant. L’année dernière, l’Ontario a émis deux pénalités administratives de 340 457,04 $ et 119 475,18 $ – la première pour non-respect du Règlement Boîte bleue.

Au Québec, le programme de REP comporte trois principaux volets : (i) un applicable aux contenants consignés; (ii) un applicable aux autres contenants, emballages et matériaux imprimés; et (iii) un applicable aux autres catégories de produits. Une réforme importante de ce programme est en cours, visant à harmoniser les règles de recyclage et à élargir les entités et les produits couverts par le cadre actuel.

En ce qui concerne le « droit à la réparation », le projet de loi C-244 Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur a reçu la sanction royale en novembre 2024. Lié à un régime réglementaire distinct de la REP, à savoir la législation sur la protection des consommateurs, le projet de loi C-244 donne aux particuliers et aux fournisseurs de services le droit de contourner, d’enlever ou de désactiver toute mesure qui limite leur capacité à réparer leurs appareils techniques ou électriques. Motivé en partie par le désir d’accroître la concurrence entre les industries, le projet de loi C-244, s’il est mis en œuvre, pourrait contribuer à réduire l’incidence sur l’environnement des déchets technologiques et favoriser des cycles de vie plus longs des appareils.

Au niveau provincial, le Québec a également modifié son cadre de protection des consommateurs en 2023, devenant ainsi la première province canadienne à adopter une législation sur le « droit à la réparation ». La Loi sur la protection du consommateur modifiée exige, entre autres, que les commerçants et les fabricants mettent à disposition, pendant un délai raisonnable, les informations nécessaires à l’entretien et à la réparation des biens, que le remplacement des pièces, les services de réparation ou les informations nécessaires à la réparation soient disponibles à un prix raisonnable, et que l’installation des pièces de rechange ne cause pas de dommages irréversibles aux biens.

Union européenne

De l’autre côté de l’Atlantique, l’Union européenne (UE) a depuis longtemps mis en place un cadre complet de REP. Celui-ci comprend la Directive relative aux déchets (2008/98/CE)4 qui sert de pierre angulaire à la législation de l’UE en matière de gestion des déchets, la Directive relative aux emballages et aux déchets d’emballages (94/62/CE), qui stipule que les producteurs sont responsables de la collecte, du recyclage et de l’élimination des matériaux d’emballage, la Directive relative aux déchets d’équipements électriques et électroniques (2012/19/UE), qui oblige les producteurs à financer la collecte, le traitement et le recyclage des déchets électroniques, et la Directive relative aux véhicules hors d’usage (2000/53/CE), qui exige des producteurs qu’ils conçoivent les véhicules en tenant compte de leur démontage et de leur recyclage.

Plus récemment, l’Union européenne a également mis en œuvre sa « Directive on repair of goods » (Directive sur la réparation des biens), qui est entrée en vigueur le 30 juillet 2024. Reflétant à certains égards le projet de loi C-244, la Directive sur la réparation des biens vise à rendre les services de réparation plus accessibles, abordables et attrayants pour les consommateurs, en encourageant la réparation des produits plutôt que leur remplacement et en renforçant les droits des consommateurs en matière de réparation des produits. Cette directive représente un nouvel élément de la stratégie de l’UE en faveur d’une économie circulaire, qui met l’accent sur l’allongement du cycle de vie des produits et encourage la réparation et la réutilisation des biens.

Tendances futures

S’attaquer à la mode éphémère

Comme c’est souvent le cas pour les changements de réglementation, l’UE et le Royaume-Uni servent souvent d’indicateurs de ce qui nous attend au Canada. En ce qui concerne les REP, il s’agit de s’attaquer à l’industrie du textile.

McKinsey & Company a déclaré qu’en 2020, l’industrie de la mode était responsable d’environ 2,1 milliards de tonnes d’émissions de gaz à effet de serre, soit environ 4 % du total mondial.5  En 2019, le total des déchets textiles, couvrant les vêtements et les chaussures, les textiles d’intérieur, les textiles techniques et les déchets post-industriels et préconsommation, s’élevait à 12,7 millions de tonnes dans l’UE.6  Sur les déchets textiles collectés étudiés dans l’UE, seuls 32 % sont recyclés dans l’UE, et environ 8 % sont réutilisés dans l’UE, le reste étant exporté.7

Bien qu’il ne s’agisse pas d’une solution complète aux problèmes posés par certains éléments de l’industrie de la mode, l’Europe (et aussi l’Amérique du Nord) s’oriente vers l’adoption d’une législation qui s’adresse directement à l’industrie textile.

Actuellement, l’UE a présenté un amendement à la Directive relative aux déchets8 qui vise à introduire des systèmes obligatoires de REP pour les textiles, les produits liés au textile et les chaussures dans tous les États membres. Ciblant directement l’industrie textile, les amendements rendront les producteurs de textiles responsables des coûts de gestion des déchets textiles, en exigeant d’eux qu’ils paient des redevances pour aider à financer les coûts de collecte des déchets textiles. Le montant de ces redevances sera basé sur la circularité et la performance environnementale des produits textiles, ce que l’on appelle l’« éco-modulation », qui permet aux États membres d’exiger des redevances plus élevées pour les sociétés ayant des pratiques industrielles et commerciales de type « mode éphémère » (fast fashion). En France, la Loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (2020) et la Loi Climat et résilience (2021) imposent des obligations aux producteurs commercialisant des vêtements, des chaussures et du linge de maison, et exigent des producteurs qu’ils gèrent la phase de fin de vie de leur produits de ces catégories.

En ce qui concerne les États-Unis, en 2024, la Californie a promulgué la Responsible Textile Recovery Act (loi sur la récupération responsable du textile)9, établissant le premier programme de REP pour les textiles aux États-Unis. Cette loi, qui est entrée en vigueur le 1er janvier 2025, oblige les producteurs de vêtements et de textiles à former une organisation de responsabilité des producteurs et à y adhérer avant le 1er juillet 2026. Cette organisation sera chargée d’élaborer et de mettre en œuvre un plan de collecte et de recyclage des textiles, visant à réduire les déchets et à promouvoir des méthodes d’élimination durables.

Programmes de REP harmonisés

Outre l’accent récemment mis sur les textiles, on constate également que les pays s’orientent vers une harmonisation des programmes de REP, dans le but de créer des marchés intérieurs cohérents et de réduire les fardeaux administratifs qui pèsent sur les producteurs exerçant des activités dans plusieurs pays.

Il est vrai qu’il s’agit d’un défi pour le marché canadien. Comme l’a reconnu le Conseil canadien des ministres de l’environnement (« CCME ») dans sa récente publication intitulée « Orientations pour faciliter la cohérence des politiques et des programmes de responsabilité élargie des producteurs pour le plastique10  », les instances canadiennes varient en matière d’emplacement, de taille, d’infrastructure, de priorités et de politiques relatives aux déchets, et peuvent donc nécessiter des programmes de REP sur mesure. Cela dit, la cohérence des définitions, des rôles et des responsabilités des principaux intervenants, de l’accessibilité au programme, des objectifs et des modes d’évaluation du rendement du programme apportera des avantages supplémentaires cruciaux aux acteurs de l’industrie dans toutes les instances. Par ailleurs, l’harmonisation des programmes de REP est représentative des efforts déployés à l’échelle internationale pour s’orienter vers une économie plus circulaire et met en évidence l’attention et les responsabilités accrues que les régulateurs et le public accordent à l’industrie.

Qu’est-ce que cela signifie pour les conseils d’administration? Considérations importantes

Bien que les régimes de REP et de « droit à la réparation » ne constituent qu’un sous-ensemble de mesures visant à lever les obstacles à une économie critique et à lutter contre les répercussions des changements climatiques, ils ont des conséquences considérables sur les activités, la chaîne d’approvisionnement et la gestion quotidienne des sociétés, dont les conseils d’administration doivent tenir compte à l’avenir s’ils souhaitent rester à l’avant-garde de leur secteur.

Tout d’abord, compte tenu de la mondialisation de nos activités, les conseils d’administration doivent veiller à ce que la direction comprenne l’incidence des régimes de REP et du « droit à la réparation » sur la société, y compris sur ses clients et ses fournisseurs tout au long de la chaîne d’approvisionnement. Le fait de ne pas comprendre globalement ces exigences et de ne pas prendre les mesures adéquates pour les planifier pourrait avoir des conséquences importantes, notamment liées au non-respect de la loi, mais aussi des conséquences liées à la non-réalisation de possibilités commerciales potentielles. Cela est d’autant plus pertinent que la répression de l’écoblanchiment s’intensifie dans le monde entier. Les conseils d’administration doivent se doter des connaissances nécessaires et s’assurer que la direction est en mesure d’étayer de manière suffisante toute affirmation concernant la REP et la réparabilité de ses produits.

Ils peuvent également envisager d’allouer le capital et les ressources nécessaires pour s’aligner sur les nouveaux programmes et normes de REP et de « droit à la réparation », en particulier s’ils souhaitent rester concurrentiels sur les marchés mondiaux. Il pourrait s’agir d’anticiper les futures tendances réglementaires et de s’y adapter, comme avec des exigences plus strictes en matière de REP et de « droit à la réparation ».

Ensuite, alors que les efforts d’harmonisation peuvent rationaliser certains processus de REP, les sociétés peuvent être confrontées à une augmentation des coûts liés au respect des exigences normalisées en matière de REP, comme la revue de la conception des produits en vue de leur recyclabilité ou la contribution à des fonds de gestion des déchets. Les conseils d’administration doivent s’assurer qu’ils disposent des ressources nécessaires pour faire face à cette augmentation potentielle des coûts. Enfin, les programmes de REP, le « droit à la réparation » et l’économie circulaire offrent aux conseils d’administration des occasions uniques de mettre en œuvre des changements fondamentaux dans leurs stratégies de chaîne d’approvisionnement et leurs pratiques opérationnelles. Cela peut se traduire par l’utilisation de matériaux durables, recyclables ou biodégradables répondant aux exigences de REP, par la mise en œuvre de processus visant à minimiser les déchets, par l’amélioration du recyclage ou de la réutilisation tout au long de la chaîne d’approvisionnement, ainsi que par l’affectation de ressources à l’innovation et au développement de produits mieux adaptés à la durabilité et à la réparation.

 

1Ministry of Environment and Climate Change Strategy, Advancing Recycling in B.C. – Extended Producer Responsibility Five-Year Action Plan, https://www2.gov.bc.ca/assets/gov/environment/waste-management/recycling/recycle/extended_producer_five_year_action_plan.pdf (« Plan d’action »)
2Plan d’action, p. 4. 
3Règl. de l’Ont. 391/21 : BOÎTE BLEUE, https://www.ontario.ca/lois/reglement/210391 
4Commission européenne, Directive 2008/98/CE, 19 novembre 2008 : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=CELEX%3A02008L0098-20180705. 
5McKinsey & Company. Fashion on Climat: How the Fashion Industry Can Urgently Act to Reduce Its Greenhouse Gas Emissions, 26 août 2020 : https://www.mckinsey.com/~/media/mckinsey/industries/retail/our%20insights/fashion%20on%20climate/fashion-on-climate-full-report.pdf 
6Commission européenne. Proposition de modification de la Directive 2008/98/CE relative aux déchets : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:52023PC0420#Proposition de modification de la Directive 2008/98/CE »). 
7Proposition de modification de la Directive 2008/98/CE.
8Proposition de modification de la Directive 2008/98/CE.
9Responsible Textile Recovery Act of 2024 (SB 707). Sacramento, Californie : California State Legislature. 
10Conseil canadien des ministres de l’environnement. Orientations pour faciliter la cohérence des politiques et des programmes de responsabilité élargie des producteurs pour le plastique. https://ccme.ca/fr/res/eprguidancefr.pdf. 

 

 

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