11 juin 2013

Commentaires aux ACVM et à l’AMF concernant les regimes de droits des porteurs

Cette lettre est soumise au nom de l’Institut des administrateurs de sociétés en réponse à l’invitation faite de commenter le Projet de Règlement 62-105 sur les régimes de droits des porteurs des Autorités canadiennes en valeurs mobilières et le document de consultation de l’Autorité des marchés financiers concernant les mesures de défense.

Contexte
 
L’IAS est heureuse de profiter de l’occasion de commenter la Proposition ACVM et la Proposition AMF. Vingt-sept années se sont écoulées depuis le dépôt de l’Instruction générale C-38 sur les mesures de défense contre une offre publique et il y a maintenant 21 ans que la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO) a rendu sa première décision sur les régimes de droits des actionnaires dans l’affaire Canadian Jorex.
 
Bien des choses ont changé depuis au Canada et dans le monde, mais on ne peut en dire autant de l’approche des ACVM à l’égard des régimes de droits et des mesures de défense. En conséquence de quoi le Canada est devenu un pays hautement favorable aux offres publiques d’achat, puisque la vente d’une société visée est hautement probable dès le lancement d’une OPA non sollicitée en raison du fait qu’on ne permet pas aux administrateurs d’une société visée de miser sur un régime de droits comme outil de négociation. [1] Cette situation fait en sorte que les actionnaires ne reçoivent pas toujours la valeur « maximum », renforce les préoccupations de court terme pour les conseils et les directions et nuit à la capacité des entreprises canadiennes de se distinguer à l’échelle mondiale. La capacité des actionnaires ne détenant que 5 % des actions d’une société de demander la tenue d’une assemblée et le manque de conseils renouvelables par tranche au Canada, joints au fait que beaucoup d’émetteurs canadiens ont des politiques de vote majoritaire, continueront de rendre les sociétés canadiennes plus vulnérables aux OPA hostiles que le sont les entreprises américaines.
 
Les décisions des ACVM concernant les régimes de droits sont aussi contraires à la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire BCE. Les décisions des ACVM exigent des administrateurs qu’ils maximisent la valeur à court terme, alors que la Cour suprême du Canada exige des administrateurs qu’ils agissent dans les meilleurs intérêts de la société dans une perspective de long terme. En outre, comme nous avons pu le constater dans divers cas récents, les décisions des ACVM sont devenues incohérentes et par moment irréconciliables.
 
Le jugement d’affaires du conseil d’administration est fondamental dans le système canadien de gouvernance d’entreprise. Le système réglementaire actuel des régimes de droits des actionnaires et des mesures de défense limite indûment l’exercice de ce jugement et justifie un examen. Nous saluons les efforts des ACVM et de l’AMF afin de s’attaquer à cette importante question de politique.
 
Les administrateurs indépendants siégeant à un conseil jouissent d’une perspective unique sur une transaction impliquant un changement de contrôle.

  • Contrairement aux membres de la direction, leur emploi et leur gagne-pain ne sont généralement pas affectés de façon matérielle.
  • Contrairement aux actionnaires, ils doivent agir et exercer leur jugement d’affaires dans les meilleurs intérêts de l’entreprise et non dans leur propre intérêt.
Cette obligation fiduciaire, leur perspective dénuée de conflits d’intérêts et l’exigence d’exercer un jugement d’affaires indépendant confèrent aux administrateurs un rôle essentiel dans des transactions impliquant un changement de contrôle. En conséquence, leurs voix devraient être entendues et leurs points de vue pris en compte lorsque le gouvernement et les autorités réglementaires font des choix de politique concernant la réglementation des transactions impliquant un changement de contrôle, dont les régimes de droits des actionnaires et les mesures défensives forment une partie intégrante.
 
Selon nous, l’objectif prépondérant de toute nouvelle proposition concernant les régimes de droits des actionnaires et les mesures défensives devrait être de permettre aux administrateurs d’exécuter leur travail dans les meilleurs intérêts de leur organisation.
 
La Proposition AMF
 
La Proposition AMF adopte une approche globale pour établir de façon éclairée le régime des droits des actionnaires et le régime des mesures défensives au Canada.
 
Nous saluons l’AMF pour l’initiative qu’elle a prise d’ouvrir le débat au Canada sur l’approche appropriée des régimes de droits des actionnaires et les mesures défensives dans notre pays.
 
Aspects positifs
  • En vertu de la Proposition AMF, les tribunaux détermineraient le bien-fondé de mesures défensives – dont les régimes de droits – faisant partie de leurs compétences sur l’exécution des obligations fiduciaires des administrateurs. Les autorités réglementaires des valeurs mobilières n’interviendraient que lorsque les agissements ou les décisions d’un conseil violeraient clairement les droits des actionnaires ou affecteraient de façon négative l’efficacité des marchés financiers.
  • Les décisions concernant les régimes de droits et les mesures défensives relèveraient des administrateurs qui sont tenus, en vertu du droit des sociétés et de la décision dans l’affaire BCE, d’agir en fonction des intérêts supérieurs de la société et sont habilités à prendre en compte la maximisation de la valeur à long terme à l’égard de l’intérêt des divers intervenants.
  • En exerçant leur jugement, les administrateurs reconnaîtront qu’ils sont hautement responsables envers leurs actionnaires. L’engagement de l’actionnaire est et sera de plus en plus une caractéristique commune au Canada, de telle sorte que les administrateurs ont une connaissance approfondie de leurs actionnaires. Les actionnaires qui sont insatisfaits des décisions de leurs administrateurs (et ne souhaitent pas ou ne sont pas en mesure de se départir de leurs actions) recourront aux tribunaux ou révoqueront les administrateurs lors d’une assemblée d’actionnaires qu’ils auront demandé de convoquer. À cet égard, l’activisme de l’actionnaire en général et les courses aux procurations en particulier sont devenu de plus en plus monnaie courante au Canada – une preuve supplémentaire que le Canada continue de compter sur marché actif et libre pour le contrôle des sociétés.
  • Cette approche ne rendra plus hautement probable la vente d’entreprises canadiennes simplement parce qu’une OPA hostile a été entreprise, ce qui représente la situation actuelle au Canada et continuerait de l’être en vertu de la Proposition des ACVM.
  • Cette approche aurait un effet de première importance sur le processus de prise de décision dans les cas de transactions impliquant un changement de contrôle par les personnes juridiquement mandatées pour agir en fonction des meilleurs intérêts de la société, par rapport à l’intérêt personnel.
  • L’avenir des sociétés canadiennes ne serait plus déterminé par des arbitragistes et des fonds spéculatifs dont l’unique motivation est l’intérêt personnel et le court terme. Comme l’a démontré la situation dans l’affaire Mason/Telus, cet intérêt peut être contraire aux meilleurs intérêts de la société.
  • Les OPA hostiles sont généralement opportunistes et lancées aux moments les moins optimaux, du point de vue de la société visée. Il est donc essentiel que le conseil d’administration de la société visée dispose des outils et des effets de levier requis pour agir dans les meilleurs intérêts de l’organisation.
  • La Proposition AMF reconnaît que bien des choses ont changé au Canada depuis la mise en œuvre de l’Instruction générale C-38 et la décision rendue dans l’affaire Canadian Jorex. L’époque des directions poussées dans leurs retranchements et des mesures défensives de la terre brûlée est depuis longtemps révolue. Aujourd’hui au Canada, les administrateurs comprennent mieux leurs devoirs et la façon de s’en acquitter. S’ils ne le font pas, ils peuvent en être tenus responsables et le seront en effet. Cela est évident quand on constate l’activisme croissant des actionnaires qui s’est déployé au cours des dernières années.
  • La Proposition AMF accorde aux conseils d’administration une plus grande capacité d’exercer leur jugement en fonction des meilleurs intérêts de la société et de l’ensemble de ses parties prenantes, y compris ses actionnaires, et rapprocherait le Canada de l’approche américaine en matière de régimes de droits et de mesures défensives. Dans le contexte d’une économie mondiale de plus en plus concurrentielle, le Canada devrait accueillir le capital étranger et se montrer ouvert aux affaires; cela ne signifie pas, toutefois, que les entreprises canadiennes doivent être considérées comme des cibles faciles pour des acheteurs opportunistes.
  • La Proposition AMF tient en haute considération l’importance pour un conseil visé de réagir de façon appropriée à une OPA non sollicitée. Il est important que ce processus soit libre de tout conflit. D’après notre expérience, avant qu’un conseil recommande le rejet d’une OPA hostile, il en vient à la conclusion que la valeur réalisable à long terme ou par la poursuite d’autres alternatives sera supérieure à la valeur de l’offre non sollicitée. Si le processus du conseil ciblé est vicié ou s’il existe d’autres préoccupations à l’égard d’abus, la Proposition AMF préserve le droit des autorités réglementaires d’intervenir.
  • La Proposition AMF s’inscrit dans l’esprit du rapport « Foncer pour gagner », du Groupe d’étude sur les politiques en matière de concurrence, mandaté par le gouvernement du Canada, et publié en juin 2008.
La Proposition ACVM

Nous remarquons que l’objectif de la Proposition ACVM est : a) d’établir un cadre réglementaire complet des régimes de droits au Canada qui offrirait aux conseils ciblés et aux détenteurs de valeurs mobilières une plus grande liberté à l’égard de l’utilisation des régimes de droits; b) de réduire les circonstances où une intervention réglementaire serait nécessaire; et c) de maintenir un marché actif pour la prise de contrôle de sociétés.
 
En particulier, la Proposition ACVM verrait les ACVM évacuer le champ de réglementation des régimes de droits des actionnaires. Nous considérons cela comme un développement positif, pour les raisons évoquées plus haut.
 
Nonobstant ses aspects positifs, la Proposition ACVM soulève par ailleurs à nos yeux certaines préoccupations, dont les suivantes :
  • La Proposition ACVM donnerait généralement au conseil d’administration 90 jours pour faire usage d’un régime de droits. IL s’agit là d’une amélioration de 45-70 jours (en moyenne) par rapport au statu quo, mais cela demeure insuffisant parce que les arbitragistes qui achètent une action à l’annonce d’une OPA hostile peuvent généralement s’attendre à voter pour la cessation d’un régime de droits. En conséquence, le Canada continuerait d’être un pays favorable aux offres publiques d’achat et les administrateurs seraient sans doute avisés (ou n’auraient d’autre choix) de se mettre à la recherche d’un chevalier blanc pour maximiser la valeur à court terme des actionnaires.
  • Ce résultat est encore une fois contraire à l’exercice approprié des obligations fiduciaires d’un conseil, tel qu’endossé par la Cour suprême du Canada dans l’affaire BCE.
  • L’option de rechercher l’approbation annuelle des actionnaires à l’endroit d’un régime de droits des actionnaires est, dans une large mesure, une échappatoire. Pourquoi la capacité d’un émetteur de demeurer indépendant devrait-elle devenir un article annuel à l’ordre du jour? N’est-ce pas là l’expression réglementaire ultime d’une politique à court terme? En pratique, plusieurs émetteurs voudront probablement éviter de tels exercices annuels d’introspection en adoptant des mesures défensives tactiques, lorsque nécessaire.
  • La Proposition ACVM ne fait aucune mention de mesures défensives autres que celles relatives aux régimes de droits des actionnaires.
  • En tout respect, nous considérons la Proposition ACVM comme une réponse inadéquate aux défis essentiels de politique que doit relever le Canada dans ce domaine et nous prions instamment les ACVM et les gouvernements de faire mieux.
Conclusion
 
L’IAS est d’avis que la Proposition AMF est valable et mérite d’être suivie. L’IAS croit même que la Proposition AMF devrait prévaloir à l’échelle du Canada.
 
L’instrument national ultime dans ce domaine devrait être optimal pour l’économie canadienne dans son ensemble. La Proposition AMF s’inscrit parfaitement dans la réalisation de cet objectif. Mais dans la mesure où elle ne répond pas nécessairement à tous les défis qui se posent, l’IAS pense qu’un Groupe de travail composé des membres appropriés devrait avoir le mandat de faire progresser la Proposition AMF au niveau national pour en faire ensuite la meilleure politique possible à l’échelle mondiale.
 

1. Il s’agit là du résultat d’une longue série de décisions des ACVM selon lesquelles vient un moment (généralement de 45 à 70 jours) où le régime de droits des actionnaires ou la pilule doit être retiré. Selon les dossiers de Bloomberg and company, de l’an 2000 au 28 mai 2013, pour les transactions supérieures à 100 millions $ dans des cas d’offres non sollicitées, un changement de contrôle de la Cible est survenu dans 86 % des cas. Le soumissionnaire a réussi dans 54 % des cas et un soumissionnaire alternatif a réussi dans 32 % des cas. La Cible est demeurée indépendante dans seulement 14 % des cas, y compris, par exemple, Potash, où le gouvernement est intervenu.

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