13 août 2025
Comprendre les risques liés à la nature : Un guide pratique pour les administrateurs canadiens
Par Klara Iochem, directrice de la communication et du développement, Commonwealth Climate and Law Initiative (CCLI)
Dans un contexte de risques de plus en plus complexe, les conseils de sociétés canadiennes doivent réfléchir à la manière dont leurs entreprises dépendent de la nature, ont un impact sur celle-ci et y sont exposées. Un nouvel avis juridique commandé par la Commonwealth Climate and Law Initiative (CCLI) et rédigé par la s.r.l. Resilient confirme que les risques liés à la nature relèvent des obligations actuelles des administrateurs en vertu du droit canadien.
La nature n’est peut-être pas encore au centre des préoccupations. Qu’il s’agisse de cybermenaces, de droits de douane, de la réduction de l’empreinte carbone ou de l’évolution des règles de divulgation, les ordres du jour des conseils d’administration sont bien remplis. Cependant, la dégradation rapide des écosystèmes présente désormais des risques opérationnels, financiers et juridiques que les conseils d’administration ne peuvent se permettre d’ignorer.
Si les administrateurs négligent ces questions, ils pourraient se retrouver devant les tribunaux.
Que sont les risques liés à la nature et pourquoi sont-ils si importants?
Les risques liés à la nature ont traditionnellement été considérés comme des questions secondaires en matière de durabilité.
Pourtant, la nature est un aspect fondamental des activités de la plupart des entreprises. Les écosystèmes canadiens fournissent chaque année des services estimés à 4 900 milliards de dollars canadiens , allant de la pollinisation et de la protection contre les inondations à la filtration de l’eau et à la séquestration du carbone.
La dégradation des écosystèmes représente quatre grandes catégories de risques pour les entreprises :
- Risques physiques, tels que les feux de forêt, la sécheresse ou les inondations.
- Risques de transition, notamment les nouvelles réglementations, les attentes des investisseurs ou l’abandon par le marché de modèles économiques étroitement liés la nature.
- Risques juridiques, découlant d’exigences légales, de réclamations ou d’actions liées aux risques physiques et de transition, ainsi que de l’impact d’une entreprise sur la nature.
- Risques systémiques, où une défaillance plus large de l’écosystème influe sur les chaînes d’approvisionnement, les opérations ou la stabilité du marché.
Les risques liés à la nature et au climat sont étroitement liés. Les changements climatiques accélèrent la perte de biodiversité en raison de la hausse des températures, des phénomènes météorologiques extrêmes et de la modification des écosystèmes. Les écosystèmes sains contribuent à réguler le climat en absorbant le carbone, en maintenant les cycles hydrologiques et en modérant les températures. En somme, la perte de biodiversité aggrave les effets des changements climatiques, et vice versa. Les conseils d’administration devraient de considérer les risques liés à la nature comme faisant partie intégrante de la gouvernance intégrée, et non comme un élément distinct.
Quelles sont les obligations des administrateurs en matière de risques liés à la nature?
La loi canadienne n’impose pas de nouvelles obligations légales propres à la nature. En effet, la surveillance des risques matériels et prévisibles liés à la nature relève des obligations existantes en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions (LCSA) et de lois provinciales similaires.
1.Obligation fiduciaire
Les administrateurs doivent agir avec honnêteté et bonne foi dans l’intérêt supérieur de l’entreprise. Les tribunaux ont interprété cette disposition comme incluant la valeur à long terme, les considérations environnementales et les intérêts des parties prenantes, y compris les titulaires de droits autochtones.
Si les activités d’une entreprise dépendent de la nature, ou ont un impact sur la nature, les administrateurs doivent :
- Déterminer et évaluer les dépendances, les impacts et les risques de transition liés à la nature.
- Déterminer si ces risques sont importants pour la réussite à long terme de l’entreprise.
- Prendre en compte les impacts liés à la nature de l’entreprise sur les parties prenantes et les écosystèmes.
2. Obligation de diligence
Les administrateurs doivent faire preuve de la diligence, de la prudence et de la compétence dont ferait preuve une personne raisonnablement prudente. L’avis conclut que le fait de ne pas prendre en compte les risques liés à la nature ne serait pas conforme à cette norme dans le contexte juridique et commercial actuel.
Pour remplir leur obligation de diligence, les administrateurs doivent :
- Être informés des risques importants liés à la nature.
- Veiller à ce que des systèmes soient en place pour déterminer et gérer ces risques.
- Prendre en compte les risques actuels et émergents dans les processus de surveillance du conseil d’administration.
- Équilibrer les considérations relatives à la nature avec les autres intérêts pertinents de l’entreprise.
La règle de l’appréciation commerciale peut protéger certaines décisions, mais uniquement si le conseil d’administration démontre qu’il a suivi un processus raisonnable, informé et documenté.
Quelles sont les conséquences juridiques potentielles?
Les administrateurs qui ne prennent pas en compte les risques liés à la nature prévisibles et potentiellement importants s’exposent, ainsi que leur entreprise, à plusieurs types de poursuites judiciaires :
- Réclamations pour manquement à l’obligation fiduciaire, y compris les poursuites judiciaires intentées par les actionnaires, en particulier si les risques liés à la nature contribuent à des pertes financières ou à une dépréciation de la valeur.
- Réclamations pour négligence en matière délictuelle, pour les dommages résultant d’un défaut de gestion des risques prévisibles, y compris les dommages environnementaux ou les perturbations de la chaîne d’approvisionnement.
- Réclamations liées à la divulgation d’information, si les risques importants liés à la nature sont omis ou minimisés dans les documents réglementaires, y compris les allégations potentielles d’écoblanchiment.
- Réclamations relatives aux droits des peuples autochtones, dans le cas où les activités des entreprises influent sur des terres autochtones sans consultation préalable ou processus de consentement approprié.
Au-delà des litiges, le fait de ne pas identifier et gérer efficacement les risques liés à la nature pourrait entraîner des sanctions réglementaires, des retards dans les projets, la perte d’accès au capital et une atteinte à la réputation.
Qu’en est-il des droits des peuples autochtones?
Les administrateurs doivent tenir compte de l’impact des activités de l’entreprise sur les terres, les eaux ou les ressources situées dans des territoires autochtones, ainsi que sur les intérêts culturels ou écologiques des peuples autochtones.
- Les administrateurs doivent consulter et impliquer de manière significative les communautés autochtones dès le début de la planification d’activités ayant un impact sur la nature.
- Les projets ayant un impact sur les communautés autochtones et leurs terres devraient intégrer le savoir écologique traditionnel, répondre aux préoccupations environnementales et offrir des avantages locaux équitables.
- Les principes du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause et, le cas échéant, les lois et protocoles autochtones doivent être respectés.
- Le fait de ne pas tenir compte de ces considérations est susceptible d’entraîner des préjudices financiers et une atteinte à la réputation.
La collaboration avec les titulaires de droits autochtones et les communautés autochtones n’est pas seulement une obligation légale, elle offre également des occasions, notamment l’accès à des projets sur le marché public, des partenariats à long terme et de meilleurs résultats pour les projets.
Quelles sont les attentes des investisseurs?
On constate de plus en plus que les investisseurs attendent des entreprises qu’elles gèrent et divulguent les risques liés à la nature :
- 74 % des investisseurs particuliers canadiens s’inquiètent de la perte de biodiversité.
- 63 % des investisseurs institutionnels, représentant plus de 4 500 milliards de dollars canadiens d’actifs, intègrent la nature dans leurs processus décisionnels.
- L’Office d’investissement du régime de pensions du Canada (OIRPC) inclut maintenant explicitement la « nature » dans ses principes de vote par procuration.
Les conseils d’administration ne faisant pas preuve d’une gestion crédible des risques liés à la nature peuvent être confrontés à des désinvestissements, à des résolutions d’actionnaires ou à un accès limité au capital. Le sentiment des investisseurs constitue en soi un risque de transition, et les conseils d’administration doivent y réagir en conséquence.
Mesures pratiques pour les administrateurs
La loi canadienne n’exige pas que les administrateurs deviennent des spécialistes de l’environnement. Elle exige toutefois que les conseils d’administration prennent des mesures raisonnables et prudentes pour surveiller les risques liés à la nature, comme ils le feraient pour tout autre risque stratégique ou opérationnel.
Les administrateurs peuvent remplir leurs obligations en faisant ce qui suit :
- S’informer sur les risques liés à la nature qui concernent les activités de l’entreprise. Cela peut comprendre la formation des administrateurs, le recours à des experts externes et des mises à jour périodiques de la part de la direction.
- Mettre en place des systèmes de gouvernance et de surveillance pour déterminer les dépendances de l’entreprise vis-à-vis de la nature et ses effets sur les écosystèmes naturels. Ces systèmes devraient inclure des processus visant à évaluer l’importance relative des risques et des occasions liés à la nature.
- Encadrer les stratégies de gestion des risques en tenant compte à la fois des risques immédiats et à long terme liés à la nature, y compris les risques physiques, de transition, juridiques et systémiques, dans le cadre de la gestion du risque d’entreprise (GRE) et de la planification de scénarios.
- Intégrer des normes spécifiques à chaque secteur et des comparaisons, en particulier dans les secteurs fortement dépendants de la nature ou ayant une empreinte écologique importante tels que l’énergie, l’exploitation minière, l’agriculture, la sylviculture, l’immobilier, l’assurance et les biens de consommation.
- Collaborer avec les principales parties prenantes, notamment les investisseurs, les titulaires de droits autochtones, les clients, les fournisseurs et les organismes de réglementation. Le comité de surveillance doit veiller à ce que les intérêts pertinents et le savoir traditionnel soient pris en compte dans les décisions ayant un impact sur la nature.
- Documenter les délibérations et les processus décisionnels, en particulier si des risques importants liés à la nature ont été identifiés ou discutés. Des registres adéquats renforcent la protection juridique en vertu de la règle de l’appréciation commerciale.
Poser les bonnes questions
Le TNFD, en partenariat avec la CCLI, Chapter Zero, Competent Boards et le Green Finance Institute, a récemment publié un guide destiné aux membres de conseils d’administration intitulé « Asking Better Questions on Nature ».
Ce guide présente douze questions que les administrateurs doivent aborder lors des réunions du conseil d’administration et avec la direction de l’entreprise afin de s’acquitter de leurs obligations et de gérer les risques liés à la nature. Ces questions permettent aux administrateurs d’accéder aux informations dont ils ont besoin pour s’assurer que les éléments liés à la nature sont intégrés dans les processus de gouvernance, de stratégie, la gestion des risques et d’allocation du capital.
Point clé à retenir : Il est essentiel de comprendre la relation de votre entreprise avec la nature
Les risques liés à la nature ajoutent une couche supplémentaire de complexité à un environnement déjà exigeant en matière de surveillance des risques. L’avis juridique précise que lorsque les risques liés à la nature sont prévisibles et potentiellement importants (comme c’est le cas pour de nombreuses entreprises), ils relèvent des obligations légales des administrateurs.
De nombreux conseils d’administration ne disposent toujours pas d’une approche structurée pour intégrer ces questions dans les processus de gouvernance et de gestion des risques. Il ne s’agit pas de créer de nouveaux processus à partir de zéro. Il s’agit d’élargir le champ d’application de la gouvernance d’entreprise afin de favorise un environnement opérationnel plus complet, dans lequel la nature sous-tend la valeur commerciale à long terme et la résilience.
Avis de non-responsabilité : La présente publication est uniquement destinée à des fins éducatives et ne constitue pas un avis juridique. La CCLI et l’auteur de cette publication ne font aucune représentation et n’offrent aucune garantie quant à son contenu et déclinent toute responsabilité relative à toute perte résultant de l’utilisation de cette publication. Les lecteurs sont invités à consulter un conseiller juridique indépendant afin d’obtenir des conseils adaptés à leur situation particulière.
La CCLI (Commonwealth Climate Law Initiative) est une initiative mondiale visant à fournir des informations juridiques et à mobiliser les parties prenantes afin d’examiner les bases juridiques permettant aux administrateurs d’entreprise et aux investisseurs de contribuer à la lutte contre les changements climatiques et les risques liés à la nature. Nous adoptons une approche multidisciplinaire pour développer des outils de recherche juridique et pratiques afin d’aider les conseils d’administration à respecter leurs obligations en matière de gouvernance et à atténuer les risques liés à la responsabilité.
12 QUESTIONS QUE LES ADMINISTRATEURS DEVRAIENT POSER
Obtenir une vue d’ensemble de l’importance de la nature pour nos activités
1. De quelles manières nos activités dépendent-elles de la nature et ont-elles un impact sur celle-ci?
2. Comment nos dépendances et nos impacts sur la nature génèrent-ils des risques financiers et non financiers potentiels?
3. Comment nos dépendances et nos impacts sur la nature génèrent-ils des occasions potentielles pour l’organisation?
4. Quelle est l’interaction entre nos dépendances, impacts, risques et occasions liés à la nature et au climat
Intégrer la nature dans la prise de décision
5. Comment évaluons-nous et mesurons-nous nos dépendances, impacts, risques et occasions potentiellement importants liés à la nature? Quelles données utilisons-nous et générons-nous?
6. Comment collaborons-nous, selon notre chaîne de valeur, avec les peuples autochtones, les communautés locales, les parties prenantes concernées et les autres parties prenantes afin de comprendre leur point de vue sur les questions liées à la nature?
7. Comment la direction intègre-t-elle la nature dans ses décisions à court et à long terme?
Comprendre le contexte externe : Marché, normes, règlements et attentes des investisseurs
8. Comment notre compréhension des questions liées à la nature évoluera-t-elle au fil du temps dans notre secteur et dans les marchés et les sites où nous exerçons nos activités?
9. Sommes-nous à jour (sur une base volontaire ou obligatoire) en matière de réglementation, de normes industrielles et d’attentes des investisseurs dans les lieux où nous exerçons nos activités?
Compétences organisationnelles liées à la nature
10. Le conseil d’administration et l’équipe de direction possèdent-ils les compétences et l’expérience nécessaires pour gérer de manière adéquate les questions liées à la nature au sein de l’organisation?
11. Les compétences et capacités de l’organisation liées à la nature, y compris l’évaluation et l’apprentissage, sont-elles consolidées à long terme?
Réflexion du conseil d’administration
12. Sommes-nous certains de remplir nos obligations légales en matière de protection de la nature