13 août 2025
Administrateur À L’affiche – Yvonne Jeffery
Administrateur à l’affiche est une fonctionnalité qui donne l’occasion à une administratrice ou à un administrateur de premier plan de discuter de perspectives et de développements importants pour les salles de conseil concernant la gouvernance climatique. Chapter Zero Canada a récemment eu le plaisir de s’entretenir avec Yvonne Jeffery, directrice, Conseil canadien des normes d’information sur la durabilité (CCNID) et vice-présidente, Durabilité chez Vermilion Energy Inc. Voici les points saillants de notre récente discussion avec Yvonne au sujet de la complexité du paysage actuel en matière de production de rapports climatiques et sur la manière dont les administrateurs peuvent tirer parti des travaux du CCNID pour aider leurs organisations à gérer les risques.
En plus de votre expérience au sein de conseils d’administration, vous avez plus de dix ans d’expérience dans la production de rapports sur la durabilité, un domaine qui est fragmenté et complexe depuis un certain temps. Quelle est la situation actuelle, en particulier en matière de production de rapports climatiques?
En bref, la situation reste complexe, mais il y a des signes encourageants de convergence. Pendant des années, les organisations ont dû s’y retrouver dans un dédale de cadres volontaires, de lignes directrices et d’agences de notation d’ESG. Une conséquence involontaire est que cela tend à favoriser une approche par liste de contrôle en matière de production de rapports climatiques et de durabilité au sens large, avec laquelle les organisations s’efforcent de répondre à toutes ces différentes attentes plutôt que de se concentrer sur la matérialité, la gestion des risques et des occasions, et les performances qui en résultent.
Actuellement, d’un point de vue mondial, l’IFRS, l’organisme dont le Canada tire ses normes comptables, a publié deux normes : une norme générale qui peut s’appliquer à tout sujet financièrement significatif lié à la durabilité, et une autre norme relative au climat. Cette approche s’inspire directement des travaux du Groupe de travail sur la publication d’informations financières relatives à la nature et est adoptée dans de nombreux pays, notamment au Canada, en Australie et en Californie.
Il y a aussi l’approche européenne, qui comprend actuellement 12 normes, dont une norme relative au climat, et qui adopte une double approche de matérialité. Cela signifie qu’en plus de la matérialité financière, les organisations doivent adopter une perspective de matérialité axée sur les impacts ou les parties prenantes. La matérialité financière peut être considérée comme une analyse de l’entreprise de l’intérieur vers l’extérieur, et la matérialité d’impact comme une analyse de l’extérieur vers l’intérieur. Cependant, la législation initiale a suscité une forte opposition, car elle était jugée inutilement lourde et coûteuse. L’Europe fait maintenant marche arrière avec sa législation omnibus, retardant la mise en œuvre pour de nombreuses entreprises pendant qu’elle s’efforce de réduire deux choses : le nombre d’entreprises tenues de faire des déclarations et le nombre de points de données requis.
Et, bien sûr, nous avons l’approche fédérale américaine, qui consiste à réduire les mesures climatiques et les rapports.
Pour les organisations intergouvernementales en particulier, gérer l’ampleur des changements cette année représente un défi de taille, mais la bonne nouvelle est que, à mesure que la rigueur attendue en matière de divulgation des informations de développement durable se rapproche de celle attendue en matière de comptabilité financière, les entreprises seront mieux à même de se concentrer sur ce qui est le plus important, ou le plus significatif, pour elles.
Vous siégez au Conseil canadien des normes d’information sur la durabilité (CCNID), qui a publié l’année dernière les normes canadiennes d’information sur la durabilité (NCID). Selon vous, quelle est l’orientation du Canada en matière de normalisation des rapports climatiques?
Le Canada se conforme délibérément aux normes IFRS. Le CCNID a adopté les normes IFRS S1 et S2, créant ainsi la norme NCID 1 du Canada, mettant l’accent sur les principes que les préparateurs peuvent utiliser pour rendre compte de tout sujet lié à la durabilité ayant une incidence financière importante, ainsi que la norme NCID 2, qui est axée sur les informations climatiques. Cette approche reconnaît les besoins des investisseurs en matière d’informations crédibles, comparables et utiles à la prise de décisions sur le climat et la durabilité, tout en ajoutant des mesures d’allègement transitoires qui tiennent compte des besoins particuliers du Canada et facilitent la tâche des préparateurs.
Ces normes sont conçues pour servir l’intérêt public en aidant les investisseurs et les autres parties prenantes à évaluer la manière dont les organisations gèrent les risques et les occasions liés au développement durable. Bien que les NCID soient facultatives en attendant les décisions réglementaires, elles offrent un cadre de haute qualité qui peut être adopté dès maintenant pour soutenir le processus de gestion d’une série de questions liées à la durabilité, y compris le climat.
Comment cela s’inscrit-il dans l’objectif d’interopérabilité mondiale?
L’interopérabilité est au cœur des NCID et constitue un thème récurrent qui est ressorti des commentaires recueillis par le CCNID lors de nos consultations sur le projet de NCID et notre plan stratégique. En nous conformant aux normes IFRS internationales, nous pouvons veiller à ce que les informations divulguées au Canada soient comparables à celles au niveau international, ce qui est essentiel pour les entreprises qui exercent leurs activités à l’étranger ou qui cherchent à lever des capitaux à l’échelle mondiale.
Plus près de chez nous, comment le CCNID s’assure-t-il que l’harmonisation internationale reflète toujours ce qui pourrait être unique aux intérêts canadiens?
Nous avons consacré beaucoup de temps et d’énergie à cette question, en nous appuyant largement sur les commentaires recueillis lors du processus de consultation sur les NCID. L’importance accordée, au sein de l’économie canadienne, aux secteurs des ressources naturelles, par exemple, et aux petites et moyennes entreprises, est un élément important qui contribue à rendre le Canada unique. Nous avons mis en place des mesures transitoires qui vont au-delà de l’approche de l’IFRS, afin de donner aux préparateurs le temps nécessaire pour développer leurs approches en matière d’éléments de production de rapports climatiques, comme l’analyse de scénarios. Le CCNID offre également des ressources pour aider les préparateurs à comprendre les allègements en matière de proportionnalité prévus dans les normes, tels que le concept de « sans coûts ni efforts excessifs ». Nous voulons nous assurer que les normes peuvent être adoptées dans l’optique d’une progression au fil du temps, plutôt que d’exiger la perfection dès le départ.
Un autre facteur essentiel pour le CCNID est la compréhension approfondie du fait que les droits des Premières Nations, des Métis et des Inuits sont à la fois inhérents et spécifiques au Canada, et ce que cela signifie pour notre travail en tant qu’organisme de normalisation. Nous nous engageons à faire progresser la réconciliation avec les peuples autochtones. En ce sens, nous préconisons la sensibilisation et la mobilisation, pour veiller à ce que leurs voix, leurs droits et leurs intérêts soient pris en compte dans les normes d’information relatives au climat et à d’autres aspects de la durabilité. En substance, nous militons pour leur inclusion dans ces normes. Nous sommes également conscients qu’il s’agit d’un long processus, et nous nous engageons à apprendre avec humilité et réflexion.
Les NCID restent facultatives en raison de la suspension par l’ACVM de ses travaux visant à établir une règle obligatoire. Croyez-vous que cela constituera un obstacle majeur à son adoption à grande échelle?
Bien que cela représente un défi, cela permet tout de même une adoption significative. Le CCNID est un organisme de normalisation, et non un organisme de réglementation. Il appartient donc aux organismes de réglementation de déterminer comment les normes pourraient être appliquées dans le cadre d’une approche obligatoire. Lorsque l’ACVM a suspendu ses travaux sur une règle obligatoire en matière de divulgation d’informations liées au climat, elle a qualifié les NCID de cadre de divulgation utile et a encouragé les émetteurs à s’y référer. Cela aide grandement les émetteurs canadiens à comprendre les attentes en matière de divulgation d’informations climatiques, laquelle demeure obligatoire en vertu de la législation sur les valeurs mobilières si le coût est élevé, au même titre que les autres risques financièrement significatifs. De plus, le Bureau du surintendant des institutions financières a fait référence à la norme climatique du CCNID dans sa ligne directrice B-15 sur la gestion des risques climatiques.
Du point de vue des préparateurs, de nombreuses entreprises canadiennes utilisent déjà certains éléments de la norme NCID 2, car elles ont adopté dans le passé la nouvelle approche mondiale de l’IFRS, y compris le GTIFCC et le SASB. Elles ont donc une longueur d’avance. En outre, nous entendons dire que certaines entreprises commencent à adopter les normes NCID, en particulier pour la divulgation d’informations sur le climat, car ces normes répondent aux besoins des parties prenantes, comme les attentes des investisseurs, les pressions exercées sur la chaîne d’approvisionnement et l’évolution de la réglementation internationale. Il sera certainement intéressant de voir comment le marché évoluera au cours des prochaines années.
Selon vous, que peuvent faire les conseils d’administration et les administrateurs pour aider leurs organisations à relever les défis actuels en matière de production de rapports?
Les conseils d’administration jouent un rôle central en raison des questions qu’ils posent à la direction. Par exemple, le climat représente-t-il un risque financier important pour l’organisation, et comment cela a-t-il été déterminé? Les droits et les intérêts des peuples autochtones ont-ils été pris en considération dans ce contexte, étant donné qu’ils sont souvent touchés de manière disproportionnée par les changements climatiques et l’exploitation des ressources? Si le climat est un facteur important, comment l’organisation gère-t-elle les risques spécifiques à ses activités, de la transition énergétique aux effets des changements climatiques sur ses infrastructures? Quelles occasions pourraient découler de la gestion des risques? Où, comment et quand l’organisation est-elle soumise à l’obligation de déclaration? Si l’organisation n’est pas soumise à des obligations réglementaires, qu’attendent les parties prenantes telles que les investisseurs institutionnels, les institutions financières et, de plus en plus, les assureurs, de la divulgation d’informations?
Il faut garder à l’esprit que ces parties prenantes clés s’intéressent essentiellement à la manière dont l’organisation gère les risques climatiques, afin d’être rassurées sur la protection de leurs investissements à long terme, quels qu’ils soient. Les conseils d’administration doivent donc également s’assurer qu’ils ont accès à l’expertise nécessaire, soit en interne, soit par le biais de conseillers externes, pour comprendre les risques, les occasions et les informations climatiques à divulguer. Ils doivent veiller à ce que la direction dispose de plans de mise en œuvre, de financement et d’échéanciers clairs pour réaliser leurs objectifs et autres engagements. Au final, ils devraient considérer la divulgation d’informations climatiques non seulement comme une question de conformité, mais aussi comme une occasion stratégique pour protéger la valeur à long terme de l’entreprise et instaurer un climat de confiance avec ses principales parties prenantes.
L’un des risques liés à la divulgation d’informations sur lequel se concentrent actuellement de nombreux conseils d’administration est le Projet de loi C-59, en particulier ses dispositions en matière de lutte contre l’écoblanchiment. Je pense que l’utilisation des NCID, qui respectent une norme internationalement reconnue, peut protéger contre ces actions, car elles favorisent une divulgation transparente et crédible des informations climatiques par les organisations.
Y a-t-il autre chose dont vous aimeriez parler?
Je voudrais souligner que ces normes constituent un pas vers une économie canadienne plus transparente, plus résiliente et plus compétitive. Et il ne s’agit pas seulement de produire des rapports. Les rapports doivent refléter les performances, la manière dont une organisation aborde les risques et les occasions liés aux questions climatiques. Les NCID ont été conçues pour servir d’outil fondamental pour ceux qui souhaitent répondre aux attentes croissantes des investisseurs, des régulateurs et des communautés. J’encourage les administrateurs à se référer aux normes afin d’aider leur organisation à faire face à l’évolution rapide que nous observons dans ce domaine.
Biographie complète
Yvonne Jeffery est membre du Conseil canadien des normes d’information sur la durabilité (CCNID) et présidente du conseil d’administration de Commissionaires Southern Alberta, une division de la seule organisation de services de sécurité à but non lucratif du Canada.
Avec plus de 30 ans d’expérience internationale, la carrière d’Yvonne comprend les domaines de la durabilité, de la communication et de la planification stratégique. Elle a occupé divers postes de direction dans les domaines des affaires, de la communauté et du développement durable, notamment en tant que rédactrice et chroniqueuse pour le Calgary Herald. Elle a amorcé son parcours professionnel comme officière de la logistique dans l’Armée canadienne, servant dans divers endroits au pays et participant à une mission de maintien de la paix des Nations Unies au Cambodge. Ces expériences ont suscité son engagement durable en faveur de la collaboration intersectorielle. Actuellement vice-présidente du développement durable chez Vermilion Energy Inc., Yvonne supervise la stratégie et la production de rapports de l’entreprise en matière de développement durable depuis plus de dix ans, contribuant à définir son approche en matière de performances environnementales, sociales et de gouvernance.
Yvonne détient une maîtrise en développement durable et en responsabilité sociale (avec mention), obtenue à l’université Hult Ashridge, un certificat d’études supérieures en responsabilité sociale des entreprises de l’University of St Michael’s College, ainsi qu’un baccalauréat en anglais et en gestion de l’Université de Calgary. Elle est également détentrice d’un certificat FSA.