21 mai 2025

Administrateur À L’affiche – Jessica Butts

Administrateur à l’affiche est une fonctionnalité qui donne l’occasion à une administratrice ou à un administrateur de premier plan de discuter de perspectives et de développements importants pour les salles de conseil concernant la gouvernance climatique. Chapter Zero Canada a récemment discuté avec Mme Jessica Butts, directrice du Pembina Institute et cheffe de la direction de ESG Global Advisors. Voici les moments-phares de notre récente discussion avec Mme Butts qui nous a fait part de son point de vue sur les plus grands défis auxquels sont confrontés les conseils d’administration dans le climat actuel, ainsi que de ses réflexions sur les tendances importantes dans le domaine de la gouvernance climatique.

En tant que directrice et conseillère auprès d’organisations et de conseils d’administration dans divers secteurs, quels sont, dans le climat géopolitique actuel, selon vous, les principaux défis auxquels sont confrontées les organisations qui souhaitent poursuivre leur action en faveur du climat?

Le filtrage des informations utiles est très important et difficile à faire. Les entreprises travaillent toujours dans le contexte d’un certain nombre de facteurs macroéconomiques, mais l’hyperpolitisation actuelle des questions relatives aux facteurs ESG et des questions connexes (y compris le climat) est une réalité particulièrement aiguë. Pour de nombreuses organisations, il peut sembler presque impossible de déterminer comment s’engager de manière productive.

En même temps, il existe des défis pratiques très réels qui ont évolué avec la maturation rapide du monde des facteurs ESG au cours des dernières années, qui est distincte, bien que liée à la politisation. Par exemple, la recherche et les cotes sur une échelle de classement constituent un problème très réel : les méthodologies peuvent être opaques. Alors que les investisseurs peuvent avoir une vision nuancée d’eux-mêmes, les administrateurs d’entreprise avec lesquels nous travaillons peuvent avoir l’impression de recevoir un bulletin scolaire et l’attention se porte alors immédiatement sur la direction et le conseil d’administration. Adopter une vision stratégique et nuancée est probablement le plus grand défi des conseils d’administration à l’heure actuelle.

Que peuvent faire concrètement les administrateurs pour continuer à faire avancer les choses à la table du conseil d’administration?

D’une part, il est difficile pour les conseils d’administration d’accorder la priorité au climat lorsque des risques graves tels que les tarifs douaniers sont en jeu, mais d’autre part, cela donne l’occasion de placer la barre à un certain niveau au sein des organisations. Un certain nombre d’entreprises se sont empressées de prendre des engagements de carboneutralité ou de fixer des objectifs en matière de réduction qu’elles ne savaient pas comment atteindre. À ce stade, les administrateurs qui ne pensent peut-être pas avoir des connaissances ou une expertise approfondies sur le sujet, peuvent néanmoins apporter une grande valeur ajoutée en remettant en question des hypothèses. Ils devraient accorder le même niveau de rigueur aux discussions sur le climat qu’aux discussions sur la vérification ou sur la stratégie générale de l’entreprise.

Je sais que les entreprises et les administrateurs sont préoccupés par des sujets tels que le Projet de loi C-59 et ses répercussions potentiellement négatives, mais d’un autre côté, cela les oblige à maintenir un certain niveau de rigueur et de maturité dans le cadre de ces conversations. En tout cas, c’est ce qu’ils devraient faire.

Les administrateurs doivent continuer à exercer leur examen critique en posant des questions, en particulier lorsqu’ils ne connaissent pas les réponses. Voici des exemples de questions : Que faisons-nous? Quel est notre avis sur le sujet? Comment nous y prenons-nous? Que demandent nos investisseurs et nos parties prenantes? Il faut revenir aux premiers principes de la matérialité financière et se questionner sur les risques encourus par l’organisation et sur la façon de les gérer efficacement, qu’il s’agisse des risques liés aux facteurs ESG, des risques climatiques ou autre.

Mme Butts, vous avez abordé la question de l’opposition aux facteurs ESG : est-ce un problème que vous constatez au sein de nombreux conseils d’administration?

Cela dépend. Nombre d’entre eux sont confrontés à des contextes et à des attentes de parties prenantes très variés - par exemple, les grandes banques qui exercent leurs activités simultanément en Californie et dans les États de la Rust Belt. Ils opèrent à la fois dans un territoire où on ne devrait pas prononcer les mots ESG ou IED et dans un autre où vous devez avoir une stratégie et des objectifs alignés sur le GTIFCC, sinon vous ne ferez pas d’affaires dans cet État. Il s’agit là d’un exemple, et des dynamiques similaires sont actuellement à l’œuvre à l’échelle mondiale. Mais si les entreprises canadiennes doivent de plus en plus se diversifier pour éviter les sources de capitaux américains, elles doivent faire preuve d’une certaine maturité dans l’intégration des possibilités et des risques non financiers dans leur stratégie d’entreprise, ce qui n’est pas le cas dans de nombreuses régions d’Amérique du Nord.

En tant que responsables à long terme d’une organisation, les conseils d’administration doivent s’opposer à la direction qui, peut-être, souhaite actuellement revoir sa stratégie ou ses objectifs pour des raisons variées, en réponse à des facteurs à court terme qui peuvent être sensibles à la politique du moment. Les conseils d’administration doivent aller au bout du raisonnement sous-jacent en se demandant quels sont les facteurs et les risques de part et d’autre.

En même temps, nous ne conseillons pas à notre clientèle d’être inutilement à l’avant-garde de ces préoccupations, à moins que cela ne soit au cœur de la proposition de valeur de l’organisation. Cela ne signifie pas qu’il faut ignorer les problèmes. Encore une fois, selon le marché sur lequel vous cherchez à attirer des capitaux en tant qu’organisation, les investisseurs auront des attentes de plus en plus fortes en matière de facteurs ESG (ou quel que soit le nom que vous lui donnez), et votre organisation a mis en place une stratégie en matière de gestion des principaux risques opérationnels.

Je comprends tout à fait les administrateurs qui doivent relever le défi de ne pas se laisser distraire par le bruit ambiant - et cette interprétation sera différente pour chaque organisation. Si le pendule est allé très loin dans un sens il y a trois ou cinq ans, il peut aller tout aussi loin dans l’autre sens aujourd’hui, et vous ne voulez pas vous retrouver dans une position où, dans trois ou cinq ans, nous serons revenus quelque part au milieu où votre organisation aura démantelé sa capacité interne et ses parts de marché. Vous perdrez toute crédibilité vis-à-vis des principales parties prenantes. Il est donc vraiment important de considérer ces problèmes non seulement dans une perspective politique, mais aussi dans une perspective de risque.

Quelles autres tendances prévoyez-vous dans le domaine du climat?

Il y a certainement eu un ralentissement de la dynamique au sein du groupe « intermédiaire » croissant d’organisations qui ne sont peut-être pas des cheffes de file dans ce domaine, mais qui sont en concurrence avec leurs homologues plus importants pour obtenir des capitaux et des parts de marché. D’après notre expérience, nombre de ces entreprises reconnaissent cet impératif, mais ne disposent pas des ressources internes, des capacités ou de l’expertise nécessaires au sein de leur conseil d’administration. Je vois ces organisations prendre le temps que leur offre le monde actuel, et j’espère qu’elles l’utiliseront pour se relancer à l’aide de cette matérialité financière et de cette perspective de pragmatisme. Assistance et entretien sont les termes que j’emploie cette année. Il s’agit de réfléchir de manière critique avant d’opérer un démantèlement, plutôt que ralentir la construction uniquement pour répondre aux turbulences à court terme.

Par ailleurs, compte tenu de notre nouveau premier ministre et de son implication passée dans le financement de l’action climatique et la transition vers une économie à faibles émissions de carbone (il a notamment coprésidé le Groupe de travail sur la publication d’informations financières relatives à la nature [GTIFCC]), il est insensé de penser qu’il opèrera un virage à 180 degrés et que les autorités fédérales donneront désormais leur feu vert à tous les grands projets au seul nom de l’opportunisme économique. Toutefois, il ne se lancera pas nécessairement à corps perdu dans la lutte en faveur du climat. Cela montre une fois de plus les risques d’un démantèlement complet en réponse à l’environnement politique à court terme. La question de savoir comment le Canada parviendra à concilier des impératifs apparemment concurrentiels en matière d’énergie, de compétitivité et de croissance propre sera au centre des préoccupations à court terme. Là encore, les conseils d’administration devront faire preuve de maturité dans leurs discussions sur ces questions.

Il sera intéressant de voir dans quelle mesure les investisseurs institutionnels prendront la relève des instances politiques et réglementaires. Il y a cinq ou dix ans, les conseils se réunissaient pour combler le manque de réglementation et de politique et ont pu exercer une grande influence. Aujourd’hui, ils ne seront peut-être pas aussi à l’avant-garde qu’ils l’étaient compte tenu des vents contraires qui prévalent. Il sera très intéressant de voir à quel point les investisseurs institutionnels continueront à pousser les sociétés financées par capital de risque et sous quelle forme.

Jessica Butts

Avec plus de 15 ans d’expérience, Mme Butts dirige ESG Global Advisors et travaille avec une clientèle, des collègues et des partenaires pour identifier et gérer de manière stratégique un éventail de questions et de priorités importantes relatives aux facteurs ESG. Elle dirige des missions auprès de conseils d’administration et de cadres supérieurs dans divers secteurs et marchés, notamment les services financiers, l’énergie et les services publics, l’exploitation minière, les ressources, les infrastructures, les transports et la vente au détail. Elle est régulièrement invitée à prendre la parole en public, à fournir des conseils stratégiques aux organisations et à faciliter les processus avec de multiples parties prenantes.

Ses domaines d’expertise comprennent l’élaboration de stratégies ESG et climatiques, la gestion des risques climatiques, l’établissement de rapports ESG et la divulgation d’informations concernant ces facteurs, ainsi que le financement de la transition en Amérique du Nord et à l’échelle internationale. Mme Butts est membre du conseil d’administration du Pembina Institute, ainsi que de plusieurs autres groupes consultatifs et initiatives sectorielles dans le domaine du changement climatique et des facteurs ESG au Canada.

Avant de se joindre à ESG Global Advisors, elle a dirigé la pratique stratégique en matière de changement climatique du Delphi Group. Elle travaillait auparavant au sein de l’équipe chargée du changement climatique et de l’énergie à l’Institut international du développement durable (IIDD). Elle a également été boursière de la Balsillie School au Centre pour l’innovation dans la gouvernance internationale (CIGI) et a travaillé pour le Parlement du Canada. Mme Butts est titulaire d’une maîtrise dans le domaine des questions internationales de politique publique de la Balsillie School of International Affairs de l’Université Wilfrid-Laurier, ainsi que d’un baccalauréat en affaires publiques et en gestion de politique de l’Université Carleton.

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