12 novembre 2025
Administrateur À L’affiche – Gianna Manes

Administrateur à l’affiche est une fonctionnalité qui donne l’occasion à une administratrice ou à un administrateur de premier plan de discuter de perspectives et de développements importants pour les salles de conseil concernant la gouvernance climatique. Chapter Zero Canada s’est récemment entretenu avec Mme Gianna Manes, administratrice de Fortis Inc. et de Keyera Corp. Voici les faits saillants de notre récente discussion avec Mme Manes sur la complexité croissante du paysage politique, l’évolution des discussions sur le climat au sein de la salle du conseil et l’importance d’harmoniser la durabilité à long terme à la compétitivité et à la résilience.
Dans le climat géopolitique actuel, quels sont, selon vous, les principaux défis auxquels sont confrontées les organisations qui souhaitent poursuivre leur action en faveur du climat?
Je siège à des conseils d’administration où l’on parle de climat et de développement durable autant, voire plus, qu’auparavant. Les discussions n’ont pas cessé, mais leur nature a changé. Les conseils d’administration font face à un certain nombre de défis. L’un des principaux défis est l’incertitude et l’incohérence des politiques, des réglementations, des exigences en matière de divulgation et des attentes que nous constatons dans les différents pays et territoires. J’ai de l’expérience au Canada et aux États-Unis; je comprends donc bien qu’il y a toujours eu des différences entre les deux, tout comme il y a des différences entre les États individuels ou les provinces. Mais ce qui rend cette tâche particulièrement difficile aujourd’hui, c’est l’ampleur des divergences entre les politiques, les mesures et les attentes des deux pays en matière de climat. Ces divergences se sont intensifiées au cours de l’année écoulée et constituent un défi pour les entreprises, en particulier celles qui opèrent de part et d’autre de la frontière.
Même pour les entreprises qui sont uniquement canadiennes, mais qui opèrent dans des marchés en dehors du Canada, comme certaines sociétés pétrolières et gazières, ces différences représentent un énorme défi. Elles tentent de concilier toutes les attentes et tous les règlements de plusieurs territoires, tout en essayant de maintenir leur compétitivité et de générer de la valeur.
Les divergences de politique et de réglementation et l’incertitude quant à l’orientation future ont également complexifié le processus d’approbation, notamment pour les grands projets d’infrastructure. Il est donc particulièrement difficile de prendre des décisions en matière d’investissement. Chaque fois que les entreprises font face à un tel degré d’incertitude, le processus de décision est plus ardu, les projets sont ralentis et, dans de nombreux cas, le champ d’application est limité. Elles nuisent aux investissements et aux mesures climatiques qu’une organisation pourrait autrement entreprendre. Je pense que pour les entreprises et les conseils d’administration, il est utile d’adopter une approche stratégique et pragmatique à long terme. Bien qu’elles doivent peut-être adapter la vitesse à laquelle elles franchissent les étapes, elles doivent maintenir le cap. Je crois qu’il est important que les entreprises ne se contentent pas de changer de direction au gré des politiques ou des règlements du moment. Il incombe aux administrateurs de veiller à ce que la viabilité à long terme de l’entreprise reste intacte et demeure au cœur de la prise de décision. Adopter une vision à long terme est donc le moyen le plus pratique, à mon avis, de relever les défis actuels.
Selon vous, quels types de discussions ont lieu au sein des salles du conseil d’organisations qui souhaitent continuer à agir pour le climat?
À mon avis, l’une des principales responsabilités du conseil d’administration est de gouverner l’orientation stratégique de l’entreprise. Une autre consiste à encadrer le risque, c’est-à-dire à gérer ses effets négatifs, mais aussi à tirer parti du potentiel que recèlent l’incertitude et le risque. Le risque n’est pas toujours une mauvaise chose; il faut prendre le bon type. D’après mes propres observations et les discussions que j’ai eues avec mes pairs au sein d’autres conseils d’administration, au cours des dernières années, la nature de l’essentiel des discussions relatives au climat s’est élargie, passant de la fixation d’objectifs et de l’établissement de rapports à une plus grande importance accordée aux investissements et aux actions qui renforcent la résilience de l’entreprise face aux épisodes climatiques.
Je travaille dans des secteurs où les conditions météorologiques ont une incidence considérable sur les infrastructures.
Nous constatons une augmentation des incidents météorologiques, tels que les sécheresses, les incendies de forêt, les ouragans et d’autres phénomènes naturels extrêmes. Les conseils d’administration discutent beaucoup plus de l’intégration des investissements en résilience dans la stratégie ainsi que de la manière de les équilibrer afin de tenir compte des besoins des actionnaires, des parties prenantes et de la clientèle, tout en veillant à l’abordabilité des produits. Ce sont donc plutôt ces conversations que les conseils d’administration et la direction ont aujourd’hui, par opposition à des discussions sur la fixation d’objectifs.
Compte tenu des évolutions et des tendances récentes et émergentes, quelles sont, selon vous, les perspectives à court et à long terme de l’action climatique et de l’établissement de rapports des entreprises au Canada?
Je pense que la législation contre l’écoblanchiment au Canada a eu des conséquences imprévues assez importantes : de nombreuses entreprises ont limité de manière significative la divulgation, par crainte des risques qui y sont associés, et ce, même si leur intention et leurs mesures étaient probablement bonnes. À mon avis, la réticence accrue des entreprises à divulguer leurs efforts est regrettable, car il reste important pour les actionnaires et les parties prenantes d’avoir une visibilité sur les processus de prise de décision.
J’espère que l’une des tendances qui se poursuivront sera la rationalisation accrue des rapports sur le climat, en mettant l’accent sur les données les plus pertinentes et les plus utiles à la prise de décision pour permettre aux parties prenantes de comprendre une entreprise. Les rapports doivent continuer à évoluer pour inclure davantage de renseignements sur la planification de la résilience, les investissements connexes et la façon dont les entreprises se préparent à gérer les risques liés aux événements météorologiques actuels. Jusqu’à présent, les rapports ne se sont pas autant concentrés sur ces points.
Pensez-vous que le climat et le développement durable ont un rôle à jouer dans les ambitions d’une organisation à être plus concurrentielle et innovante?
Je crois qu’avec une telle situation fluctuante, en particulier lorsqu’il est question des approches ou des attentes divergentes entre les États-Unis et le Canada, la frontière qui nous sépare a vraiment de l’importance. La relation entre les deux pays et leur capacité à rivaliser l’un avec l’autre comptent aussi pour beaucoup. Dans un contexte comme celui que connaît le Canada, il est naturel de vouloir prendre une pause pour veiller à ne pas s’engager dans une voie désavantageuse.
Cela dit, je pense que de bonnes pratiques en matière de développement durable, de manière générale, qui sont importantes pour la viabilité à long terme d’une entreprise, intègrent des mesures favorables à l’environnement. Cela ne se limite pas au respect des réglementations et des politiques : les bonnes pratiques en matière de développement durable doivent être intégrées dans tous les domaines, à commencer par les valeurs, l’objectif, la stratégie et les plans d’exploitation de l’entreprise. La durabilité, la compétitivité et la création de valeur à long terme ne sont pas incompatibles. En effet, plus une entreprise comprend les pratiques de durabilité et les intègre dans son processus décisionnel et sa stratégie, et plus ces approches font partie de son activité quotidienne, mieux elle se portera à long terme.
Cela ne veut pas dire qu’il n’y aura pas de priorités concurrentes. Une entreprise fera toujours face à des compromis en matière d’imputation sur les fonds propres et d’autres priorités, en particulier dans les décisions et les mesures à court terme. Par exemple, dans le secteur de l’électricité, certaines entreprises ne ferment pas leurs centrales électriques à combustibles fossiles aussi rapidement qu’elles l’avaient prévu. Il se peut aussi qu’elles construisent à court terme plus de centrales au gaz que prévu. Cela ne signifie pas qu’elles oublient les objectifs et les buts climatiques, mais plutôt qu’elles procèdent à des ajustements à court terme afin de gérer l’accessibilité et la fiabilité. Dans le cas de l’industrie de l’électricité, c’est un aspect indispensable pour assurer la compétitivité du pays ou de la province.
Biographie
Mme Gianna Manes siège actuellement au conseil d’administration de Fortis Inc., où elle préside le comité de gouvernance et de durabilité, ainsi qu’au conseil d’administration de Keyera Corp., où elle préside le comité des ressources humaines.
Mme Manes a été présidente et cheffe de la direction d’ENMAX Corporation, une compagnie d’électricité ayant des activités en Alberta et dans le Maine, de 2012 jusqu’à sa retraite en juillet 2020. Elle possède plus de 30 ans d’expérience dans le secteur de l’énergie au Canada, aux États-Unis et en Europe. Avant de se joindre à ENMAX, elle a occupé plusieurs postes de direction chez Duke Energy, y compris celui de vice-présidente principale et responsable du service à la clientèle de 2008 à 2012.
Mme Manes est titulaire d’un baccalauréat ès sciences en génie industriel de l’Université d’État de la Louisiane et d’un MBA de l’Université de Houston. Elle a suivi le programme de gestion avancée de l’Université Harvard et détient le titre IAS.A de l’Institut des administrateurs de sociétés.