21 mai 2025

Le premier ministre Carney et le climat : ce que les 45e élections fédérales canadiennes signifient pour la politique climatique

Par Caroline Marful et Tyson Dyck, Torys LLP

Le 28 avril 2025, le Parti libéral du Canada a remporté son quatrième mandat consécutif – et son premier sous la direction de son nouveau chef, M. Mark Carney – en obtenant 169 sièges à la Chambre des communes. Bien qu’il leur manque trois sièges pour disposer de la majorité, les libéraux entament leur troisième mandat consécutif à la tête d’un gouvernement minoritaire, portés par leur meilleur résultat depuis 2015.

Même si les relations avec les États-Unis et la gestion économique ont dominé la campagne électorale et le programme initial du gouvernement, la politique sur le climat reste un enjeu déterminant. Avec le premier ministre Carney et le chef conservateur, M. Pierre Poilievre, proposant des stratégies climatiques bien différentes, le résultat des élections déterminera la voie que suivra le Canada dans sa transition climatique. La victoire de M. Carney est synonyme de continuité, mais aussi de renouveau, avec une attention accrue portée aux mesures climatiques axées sur l’investissement. Les administrateurs de sociétés devraient envisager la manière dont une telle approche axée sur l’investissement pourrait influer sur la disponibilité des capitaux et le soutien gouvernemental à de nouveaux projets alignés sur le climat, ainsi que les risques et les occasions liés à la transition climatique au sens large.

Gouverner sans majorité : outils et tensions

Si les gouvernements majoritaires jouissent d’une liberté législative, les mandats minoritaires peuvent néanmoins réaliser des avancées politiques significatives. Le gouvernement libéral conserve deux outils clés :

1. Collaboration stratégique – d’anciens alliés du Nouveau Parti démocratique (NPD) ou d’autres députés pourraient offrir un soutien suffisant pour faire adopter la législation. Le NPD a apporté son soutien aux libéraux dans le cadre de l’accord de soutien et de confiance conclu entre 2022 et 2024. Même si le NPD a perdu son statut de parti officiel, les libéraux n’ont besoin que de trois voix supplémentaires pour faire adopter une loi.

2. Pouvoir exécutif et réglementaire – même sans ces voix supplémentaires, un gouvernement minoritaire a le pouvoir d’adopter et de modifier des règlements et de prendre des décrets en conseil, qui, dans certains cas, peuvent modifier la législation existante. On l’a vu en mars 2025, lorsque le gouvernement, par voie réglementaire, a réduit à zéro la taxe fédérale sur les carburants en vertu de la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, suspendant ainsi la taxe sur le carbone pour les consommateurs. Cette décision revêtait une importance politique considérable, car elle révélait comment les leviers réglementaires peuvent remodeler les politiques sans passer par un vote parlementaire.

Ce même ensemble d’outils pourrait être utilisé pour les mesures politiques climatiques dans les mois à venir. Les conseils d’administration ne doivent pas présumer d’une impasse législative. Les outils réglementaires peuvent rapidement remodeler les conditions du marché. Les administrateurs doivent s’assurer que la direction comprend en temps réel les nouvelles politiques fédérales, en particulier dans les secteurs à forte intensité d’émissions.

Le programme climatique de M. Carney : piliers et priorités politiques

La plateforme du premier ministre Carney mettait l’accent sur une vision d’une économie propre, tirée par l’investissement, l’innovation et la compétitivité industrielle. Voici trois grandes orientations politiques sur le climat qui devraient être au cœur des préoccupations de ce gouvernement :

1. Renforcer les marchés du carbone au Canada

Malgré l’abandon de la taxe fédérale sur le carbone, le parti de M. Carney s’engage à améliorer le Système de tarification fondé sur le rendement (STFR) – le régime canadien de tarification du carbone pour l’industrie, qui s’applique dans les provinces et les territoires ne disposant pas de programmes équivalents. L’objectif : améliorer la fonctionnalité, favoriser les liens entre les provinces et harmoniser les normes nationales.

Un examen provisoire des programmes de tarification du carbone industriel, imposé par le gouvernement fédéral, est prévu pour 2026 afin de garantir l’harmonisation des mesures entre les différentes compétences. Cet examen de la rigueur portera probablement sur la rigueur des coûts de mise en conformité. Actuellement, le prix en vigueur du carbone peut varier considérablement selon le régime provincial. Par exemple, les crédits compensatoires émis en vertu du règlement Technology Innovation and Emissions Reduction (TIER) de l’Alberta se sont récemment négociés à moins de 40 dollars la tonne, soit moins de la moitié du prix de soutien fédéral de 95 dollars la tonne en 2025. En revanche, le prix des droits d’émission négociés dans le cadre du système de plafonnement et d’échange du Québec, qui est lié à celui de la Californie, est très sensible à la réglementation de cet État et aux attaques politiques du gouvernement fédéral américain.

La première ministre de l’Alberta, Mme Danielle Smith, a également manifesté son soutien à une lettre rédigée par plusieurs des plus grandes sociétés pétrolières et gazières du pays. Ces dernières soutiennent que le gouvernement fédéral devrait laisser aux provinces le soin de fixer le prix du carbone industriel. L’examen de la rigueur mettra cette question au premier plan.

Étant donné que la tarification du carbone industriel s’applique désormais à plus de 40 % des émissions canadiennes, son évolution déterminera l’avenir de la décarbonisation nationale. Pour les administrateurs des secteurs à fortes émissions, l’évolution des cadres de tarification du carbone représente à la fois un risque financier et une occasion d’arbitrage. Les comités des conseils d’administration doivent tenir compte de la sensibilité de leur société à l’évolution des régimes de tarification du carbone, ainsi que des risques et occasions que cette évolution présente.

2. Faire progresser les technologies d’élimination du gaz carbonique

L’élimination du gaz carbonique consiste à retirer le dioxyde de carbone de l’atmosphère (plutôt que des sources industrielles) pour le stocker à long terme dans des réservoirs géologiques, terrestres ou océaniques, ou dans des produits tels que le béton. Les technologies d’élimination du gaz carbonique telles que la capture directe dans l’air et l’élimination du carbone dans les océans apparaissent comme des outils essentiels dans les stratégies mondiales visant à atteindre la carboneutralité. Selon les estimations, le marché des crédits d’élimination du gaz carbonique pourrait atteindre entre 150 et 725 mégatonnes d’ici 2050. Avec ses forêts abondantes, ses côtes et sa géologie prometteuse pour la séquestration du carbone, le Canada est bien placé pour accueillir un secteur d’élimination du gaz carbonique en pleine croissance.

Avant les élections, Ottawa avait commencé à encourager certaines technologies d’élimination du gaz carbonique, en particulier la capture directe dans l’air. Au début de 2025, Ottawa a publié un premier projet de protocole visant à permettre aux projets volontaires de capture directe dans l’air de générer des crédits de compensation des émissions de carbone, complétant ainsi leur admissibilité au crédit d’impôt à l’investissement (CII) fédéral pour la capture, l’utilisation et le stockage du carbone (CUSC). Le premier ministre Carney s’est depuis engagé à faire du Canada un chef de file mondial de l’élimination du gaz carbonique, suggérant un soutien accru aux solutions d’élimination du carbone tant artificielles que naturelles, notamment par le biais d’objectifs canadiens en matière d’élimination du gaz carbonique pour 2035 et 2040 et d’un engagement à prolonger jusqu’en 2035 la valeur totale du CII pour la CUSC.

Les conseils d’administration devraient évaluer si l’élimination du gaz carbonique pourrait faire partie des stratégies de carboneutralité de leur société. Pour les industries dont les émissions sont difficiles à réduire, des partenariats précoces avec des projets d’élimination du gaz carbonique peuvent offrir des avantages en matière de réputation, de financement et de réglementation.

3. Explorer les mécanismes d’ajustement carbone aux frontières (MACF)

La plateforme de M. Carney a marqué le premier signal officiel du Canada en faveur de la mise en œuvre d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. À ce jour, les MACF sont plus répandus en Europe, où l’Union européenne (UE) a adopté une législation qui instaurera dès 2026 des tarifs douaniers pour les importateurs de certains produits à forte intensité de carbone, dans le but d’uniformiser les règles du jeu pour les mêmes produits fabriqués en Europe qui sont soumis à un régime de tarification du carbone industriel. La volonté de l’UE de mettre en œuvre des MACF a suscité un débat politique à l’échelle internationale, et maintenant ici, au Canada.

La plateforme de M. Carney promettait la mise en place d’un MACF comme mesure de protection pour les secteurs énergivores et exposés au commerce extérieur du Canada, qui fonctionnerait en imposant une taxe ou un tarif douanier sur les biens produits dans ces secteurs et importés au Canada. Cependant, les MACF sont délicats sur le plan diplomatique. Sans coordination entre les principaux partenaires commerciaux, ils risquent de déclencher une vague de protectionnisme. Alors que l’UE, le Royaume-Uni, le Japon et l’Australie étudient des outils similaires, leur mise en œuvre à court terme est peu probable au Canada. Néanmoins, l’inclusion de MACF dans la plateforme témoigne d’une maturation du programme en matière de commerce et de climat.

Les administrateurs d’entreprises à forte intensité d’exportation devraient évaluer les risques liés à l’exposition commerciale découlant des futurs MACF canadiens ou étrangers. Cela implique notamment d’examiner si les partenaires de la chaîne d’approvisionnement situés dans des juridictions à forte intensité carbone risquent bientôt de subir des désavantages en matière de coûts, et s’il convient de modifier les achats ou l’empreinte carbone en conséquence. Deux autres points chauds à surveiller

I. Crédits d’impôt pour les investissements propres

Le premier ministre Carney soutient la finalisation et la poursuite des six principaux crédits d’impôt à l’investissement dans les technologies propres introduits par le précédent gouvernement libéral, qui couvrent la CUSC, l’hydrogène, l’électricité propre, etc. Ces crédits joueront un rôle déterminant dans la mobilisation de capitaux privés.

II. Plafond sur les émissions du secteur pétrolier

Les tensions autour de la proposition de plafond sur les émissions du secteur pétrolier et gazier, à laquelle s’oppose fermement la première ministre Smith, pourraient raviver le conflit entre le gouvernement fédéral et les provinces. Le 30 avril 2025, la province de l’Alberta a déposé un dossier de renvoi devant sa cour d’appel concernant la constitutionnalité du Règlement sur l’électricité propre, qui fixerait des limites strictes de rendement en matière d’émissions pour la production d’électricité à partir de combustibles fossiles. Une affaire similaire serait sans aucun doute jugée si les libéraux adoptaient le projet de règlement sur les plafonds d’émissions dans le secteur pétrolier et gazier, publié en novembre 2024. Les libéraux devront manœuvrer avec prudence, d’autant plus que les conservateurs de M. Pierre Poilievre et des provinces comme l’Alberta et la Saskatchewan ont qualifié ce plafond d’excès pendant la campagne électorale.

Conclusion : clarté malgré les contraintes

Bien qu’ils dirigent un gouvernement minoritaire, les libéraux de M. Mark Carney disposent d’un large éventail d’outils pour faire avancer la politique sur le climat. De la tarification du carbone industriel et des incitations à l’élimination du gaz carbonique à la création de crédits d’impôt à l’investissement et aux ajustements aux frontières, le Canada est prêt à passer de l’ambition à la mise en œuvre. Cependant, les progrès dépendront de la capacité à trouver des solutions gagnant-gagnant pour les gouvernements fédéral et provinciaux, et la meilleure occasion réside peut-être dans la mise en place d’un ensemble de mesures incitatives réglementaires susceptibles de stimuler les investissements dans des projets nouveaux et innovants en matière de CUSC et d’élimination du gaz carbonique partout au pays. Les administrateurs de sociétés auront un rôle important à jouer pour guider leur entreprise vers ces opportunités et atténuer les risques liés à la transition plus large vers une économie à faible intensité de carbone.

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