28 mars 2011
Avis du personnel de la CVMO 54-701 sur des propositions réglementaires concernant les droits démocratiques
Cette lettre est soumise au nom de l’Institut des administrateurs de société (IAS) en réponse à l’invitation qui lui a été faite de s’exprimer sur l’opportunité d’élaborer des propositions réglementaires afin de répondre aux enjeux relatifs aux droits démocratiques des actionnaires soulevés dans l’avis du personnel de la CVMO.
En vue de la rédaction cette lettre, l’IAS a constitué un groupe de travail composé d’administrateurs éminents et de spécialistes de la gouvernance d’entreprise provenant de partout au Canada. Les membres de ce groupe de travail sont :
Ian Bourne – Calgary – Administrateur de sociétés
Tom Chambers – Vancouver – Administrateur de sociétés
Peter Dey – Toronto – Administrateur de sociétés
Thierry Dorval – Montréal – Associé et responsable, Équipe de gouvernance et responsabilité des administrateurs, Ogilvy Renault
John McLennan – Mahone Bay, N-É – Administrateur de sociétés
Le soussigné présidait le groupe de travail, alors que Andrew MacDougall, associé chez Osler, Hoskin & Harcourt S.E.N.C.R.L./s.r.l.., agissait comme avocat-conseil auprès du groupe de travail.
Cette lettre reflète les opinions du groupe de travail, les interventions de nos sections régionales dans l’ensemble du Canada et elle a été approuvée par le conseil d’administration national de l’IAS.
Les membres de l’IAS partagent l’intérêt de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario à l’égard de la gouvernance d’entreprise et de l’évolution continue des pratiques jugées exemplaires en cette matière. Nous sommes heureux de l’occasion qui nous est offerte de nous exprimer sur les questions soulevées dans l’avis du personnel de la CVMO. Avant d’aborder ces questions, nous aimerions toutefois formuler deux commentaires d’ordre général.
D’abord, nous sommes d’avis que dans la plupart des cas, les chances d’avancement de la gouvernance d’entreprise au Canada passent plus par l’identification de pratiques exemplaires et par leur mise en œuvre au sein du marché que par l’imposition de règlements. Ceux-ci peuvent être rigides, entraîner des conséquences non voulues et s’avérer insensibles à la diversité des émetteurs qui y seront soumis. Nous croyons que les émetteurs doivent disposer de la souplesse nécessaire pour élaborer une approche de la gouvernance d’entreprise qui reflète leur situation particulière. Il est devenu banal de dire qu’en ces matières les mêmes recettes ne s’appliquent pas à tous, mais cela demeure néanmoins vrai. Il faut faire preuve de prudence avant de s’en remettre à des normes universelles ou à des règles normatives.
Deuxièmement, nous reconnaissons et appuyons l’affirmation contenue dans l’avis du personnel de la CVMO selon lequel le personnel entend coordonner son analyse et l‘élaboration de toute proposition avec les autres membres des Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM). Nous croyons fermement qu’il est essentiel que toute modification à la réglementation de la gouvernance d’entreprise soit l’objet d’un consensus au sein de toutes les commissions canadiennes des valeurs mobilières.
Scrutin de liste et vote majoritaire pour les élections des administrateurs sans opposition
Le personnel a identifié un certain nombre de questions sous cette rubrique et comme la terminologie utilisée n’est pas toujours constante lors des discussions, nous pensons qu’il est important de les considérer séparément. La première question soulevée à cet égard est de savoir si les actionnaires devraient avoir le choix de voter pour une liste de candidats ou de s’abstenir de voter (scrutin de liste) ou s’ils devraient pouvoir voter pour chaque candidat ou s’abstenir de voter (vote individuel).
La seconde question, qui se pose uniquement en cas de vote individuel des actionnaires, est de savoir si lorsqu’un ou plusieurs candidats administrateurs n’obtiennent pas plus de votes en leur faveur que d’abstentions, les administrateurs devraient être tenus de démissionner en vertu d’une politique de leur conseil (politique de vote majoritaire) ou ne pas être considérés comme élus (norme du vote majoritaire)
Scrutin de liste vs vote individuel pour les administrateurs
Nous sommes en faveur du vote individuel dans l’élection des administrateurs. La capacité de voter pour l’administrateur de son choix constitue un droit fondamental associé à l’actionnariat et nous soutenons le point de vue selon lequel un actionnaire ne devrait pas être placé dans la situation inconfortable d’avoir à voter « pour » certains administrateurs que les actionnaires n’appuient pas ou de ne voter pour aucun candidat alors qu’en fait, il peut désirer l’élection de plusieurs, ou peut-être même de la plupart, des candidats au conseil d’administration. Nous voyons d’un bon œil l’idée que si les actionnaires sont habilités à voter pour les candidats à titre individuel, ils se sentiront plus engagés dans le processus électoral. Nous reconnaissons aussi que le vote individuel dans le cadre de l’élection d’administrateurs peut susciter certaines réactions des actionnaires quant à l’aptitude d’un administrateur, car les actionnaires hostiles à un candidat ou aux décisions d’un comité d’administrateurs peuvent faire connaître leur insatisfaction en refusant de voter pour ce candidat ou pour les membres de ce comité.
Nous prenons acte du fait que l’élection d’administrateurs par vote individuel est pratique courante, n’impose aucun coût supplémentaire digne de mention et, parce qu’il ne nuit pas au processus d’élection, ne soulève pas les mêmes inquiétudes à l’égard de la composition du conseil qu’un vote majoritaire. Nous appuierions des changements à la forme de procuration prescrite en vertu du règlement 51-102 sur les obligations d’information continue qui rendraient obligatoire l’élection individuelle d’administrateurs.
Des politiques de vote majoritaire et une norme du vote majoritaire
Le fait que le vote majoritaire soit devenu un sujet brûlant au Canada répond, dans une large mesure, à l’écho des débats qui ont eu cours aux États-Unis sur la même question. Il existe toutefois des différences importantes d’enjeux entre les deux pays.
D’abord, l’adoption du vote majoritaire aux États-Unis est issue, en grande partie, des propositions des actionnaires alors que les entreprises canadiennes qui ont agi ainsi l’ont fait volontairement.
Deuxièmement, des dispositions des lois canadiennes sur les sociétés ont pour effet d’atténuer certaines des causes sous-jacentes de la frustration des investisseurs aux États-Unis qui ont poussé les actionnaires à proposer le vote majoritaire. Depuis maintenant de nombreuses années, la SEC étudie la possibilité d’adopter des règles permettant aux actionnaires de soumettre les noms de candidats au conseil pour qu’ils figurent dans la circulaire de la direction sollicitant des procurations, alors que les actionnaires de sociétés constituées en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions (LCSA) ou de lois provinciales sur les sociétés modelées sur la LCSA peuvent depuis longtemps soumettre de telles propositions. En outre, ces législations canadiennes sur les sociétés stipulent également que les actionnaires peuvent à tout moment, par résolution ordinaire, révoquer un administrateur et pourvoir le poste ainsi devenu vacant, alors que plusieurs législations aux États-Unis n’accordent pas un tel pouvoir aux actionnaires.
Troisièmement, une proportion importante des sociétés ouvertes canadiennes sont des entreprises sous contrôle pour lesquelles la valeur d’une politique de vote majoritaire ou une norme du vote majoritaire serait au mieux marginale.
Qu’il soit adopté dans le cadre d’une politique ou à titre de norme, le scrutin majoritaire soulève des préoccupations à l’effet (i) qu’il puisse résulter en une « élection ratée », c’est-à-dire qu’aucun administrateur n'est élu ou qu’un nombre insuffisant d’administrateurs est élu en disposant des attributs nécessaires pour répondre aux exigences statutaires de résidence d’un administrateur ou des exigences relatives à la nécessité d’avoir un comité de vérification composé d’au moins trois administrateurs indépendants ou (ii) qu’il puisse résulter en la perte d’administrateurs doués d’un ensemble de compétences particulières que le conseil juge nécessaires ou souhaitables. Ces préoccupations sont encore plus vives lorsque le scrutin majoritaire est adopté sous la forme d’une norme.
Même si nous appuyons l’adoption de politiques de vote majoritaire comme pratique exemplaire, nous ne croyons pas qu’il s’agisse d’une pratique utile pour les sociétés sous contrôle et nous reconnaissons qu’elle peut ne pas convenir à plusieurs petites et moyennes entreprises. Nous relevons qu’en dépit de l’élan considérable dont a joui le scrutin majoritaire aux États-Unis au cours des dernières années, des propositions en vue d’exiger des sociétés un seuil de scrutin majoritaire lors d’élections d’administrateurs sans opposition ont été ignorées dans les réformes de gouvernance de sociétés contenues dans la version définitive du Dodd-Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act (Loi Dodd-Frank). Selon nous, il serait prématuré d’envisager l’adoption d’une politique de scrutin majoritaire à titre obligatoire. Toutefois, nous soutenons l’adoption d’une politique de vote majoritaire comme pratique exemplaire et nous encourageons les conseils d’administration à réfléchir aux façons d’aborder la question des forts taux d’abstention lors de l’élection d’administrateurs.
Nous nous opposons à l’adoption d’une norme du vote majoritaire. De plus, nous notons que les normes de scrutin pour l’élection d’administrateurs de sociétés canadiennes relèvent du droit des sociétés et qu’en conséquence, on ne pourrait obliger les entreprises canadiennes à adopter une telle norme en vertu de la LCSA.
Vote consultatif des actionnaires sur la rémunération de la haute direction
Nous n’appuyons pas la mise en place d’une exigence de type obligatoire selon laquelle les émetteurs permettraient aux actionnaires de tenir un vote consultatif distinct sur la rémunération de la haute direction (communément appelé le say on pay) ou sur un « parachute doré ». C’est au conseil d’administration que revient la responsabilité d’approuver la stratégie et les pratiques de rémunération des dirigeants de la société, laquelle responsabilité doit être assumée en conformité avec l’obligation fiduciaire du conseil d’agir dans les meilleurs intérêts de la société. La responsabilité des actionnaires consiste à élire des administrateurs dont ils croient qu’ils s’acquitteront adéquatement de leur obligation fiduciaire dans les normes appropriées de diligence. Nous ne soutenons pas des pratiques qui, dans les faits, saperaient ou diminueraient les responsabilités du conseil d’administration à l’égard de la rémunération de la haute direction.
Les législatures qui ont adopté le say on pay ont généralement agi ainsi par réaction politique à un ensemble de scandales financiers et d’exaspération du public à l’égard de salaires injustifiés. Le say on pay a été adopté par le gouvernement britannique en réponse aux critiques du public à l’endroit de salaires faramineux versés en particulieraux dirigeants d’anciennes sociétés d’État récemment privatisées. La Loi Dodd-Frank etd’autres initiatives précédentes prises aux États-Unis en vertu du Plan Paulson (Troubled Asset Relief Program) peuvent toutes êtres considérées comme des réponses politiques à l’indignation du public à l’égard de la rémunération excessive des dirigeants, en particulier en ce qui concerne les primes de départ des chefs de la direction. Même si le Canada n’a pas été exempt de tels types de scandales, les exemples d’indignation publique à l’endroit des niveaux de rémunération des dirigeants ont été relativement peu nombreux. Il y a une raison à cela. Les niveaux de rémunération ont été historiquement bien plus bas au Canada qu’aux États-Unis ou au Royaume-Uni.
La rémunération des cadres exige des calculs stratégiques et complexes, une compréhension aiguë des rôles, responsabilités et personnalités des personnes en cause ainsi qu’un accès à des renseignements confidentiels et de nature délicate du point de vue de la concurrence. Par conséquent, il s’agit là d’une question que le conseil d’administration est mieux préparé à traiter. De plus, nous notons qu’un vote défavorable sur le rapport de rémunération de la haute direction ne fournirait aucun renseignement utile dans la mesure où les membres du conseil ne sauraient pas pourquoi les actionnaires ont voté contre la résolution.
L’argument le plus fort qui a été soumis en faveur du say on pay est celui selon lequel il pourrait améliorer le dialogue ou les communications avec les actionnaires (en particulier les institutions) afin d’identifier les problèmes susceptibles de se poser à l’égard du programme de rémunération des cadres. Cependant, certaines des grandes sociétés canadiennes ont abondamment consulté, dans le passé, les actionnaires institutionnels sur les questions de gouvernance et adopté volontairement des pratiques exemplaires en ce sens, comme l’a démontré encore tout récemment le fait que plusieurs conseils d’administration ont accepté de rencontrer individuellement la Coalition canadienne pour une saine gouvernance et que plusieurs sociétés ont adopté sur une base volontaire le scrutin majoritaire pour les politiques du conseil d’administration et des votes d’actionnaires sur la rémunération des dirigeants. La volonté des conseils d’administration de sociétés canadiennes de répondre aux préoccupations des actionnaires pourrait être le reflet d’une différence culturelle typiquement canadienne à l’égard des pratiques de gouvernance. Ainsi, les sociétés canadiennes ont tendance à avoir moins de dirigeants siégeant à leur conseil qu’au Royaume-Uni et les chefs de la direction d’entreprises canadiennes agissent rarement comme président du conseil d’administration, contrairement à ce qui se passe aux États-Unis. Selon nous, il n’est pas nécessaire d’adopter le say on pay à titre de mesure incitative favorisant un meilleur dialogue avec les actionnaires autour des questions de rémunération.
Bien que les conseils d’administration de diverses entreprises puissent décider d’adopter le say on pay de façon volontaire, nous ne croyons pas que le fait que d’autres pays l’aient adopté en réaction à l’indignation du public soit une raison valable pour que cette pratique ait cours au Canada. En décidant de ne pas adopter l’attestation d’un vérificateur de contrôle interne sur la communication de l’information financière (codifié aux États-Unis comme le chapitre 404 de la Sarbanes-Oxley Act of 2002), le Canada a reconnu qu’il ne s’agit sans doute pas du type de réglementation le plus approprié et a décidé d’adopter une autre approche. Celle-ci a été bien accueillie par la plupart des participants au marché des valeurs mobilières. Nous croyons que le say on pay est un autre exemple de la manière dont le Canada se distingue.
L’efficacité du système de vote par procuration
Les actionnaires jouissent d’un rôle particulier dans la gouvernance des sociétés canadiennes. Les actionnaires élisent les membres du conseil d’administration et choisissent les vérificateurs externes. En vertu des statuts d’entreprise, certaines questions d’importance fondamentale doivent être approuvées par les actionnaires, y compris les modifications aux articles et règlements, les fusions, les réorganisations et la vente en totalité ou en presque totalité des actifs de la société. De plus, les règles du marché boursier exigent que les actionnaires approuvent certaines transactions dilutives. L’exercice du droit de vote des actionnaires et la confiance des entreprises dans notre système de gouvernance des sociétés dépendent de l’efficacité et de l’intégrité d’un système en vertu duquel les actionnaires exercent leur droit de vote.
Nous prenons acte du fait que pour la plupart des scrutins de sociétés, le système actuel de vote par procuration fonctionne très bien, en particulier si l’on tient compte du fort volume de procurations traitées[1]. Dans les réunions contestées telles que les courses aux procurations, si le vote est serré, dans beaucoup de cas le processus de scrutin est soigneusement analysé au moyen d’un processus accusatoire, y compris le cas échéant par révision judiciaire, afin d’établir un résultat. Mais si l’évolution continue des pratiques exemplaires en matière de gouvernance d’entreprise devait accorder une place accrue au vote des actionnaires, ce qui pourrait susciter une augmentation de l’incidence des litiges, alors l’intégrité du système de vote par procuration devrait être analysée avant qu’une pression additionnelle s’exerce sur elle.
L’intégrité du système de vote par procuration n’est pas seulement un enjeu canadien.À la lumière du caractère international des activités d’investissement, il existe des limites pratiques à la capacité d’agir des organismes canadiens de réglementation, à l’intérieur même de leur juridiction, pour améliorer le vote par procuration. En outre, les règles qui s’appliquent au Canada doivent s’aligner sur celles d’autres pays qui représentent une source importante d’investissement de capitaux au Canada, ou tout au moins adopter une approche flexible afin d’éviter les conflits. Nous prenons note du fait que la SEC a émis récemment un document intitulé Concept Release on the U.S. Proxy System, lequel soulève des questions sur un certain nombre de préoccupations qui sont également pertinentes à l’égard du système canadien de vote par procuration, dont par exemple l’exercice des droits de vote par des actionnaires ayant peu ou pas d’intérêts économiques dans la société (ou « vote vide »), l’impact des ententes de prêt de titres sur le vote des actionnaires et le rôle des agences de conseillers en vote par procuration dans le processus de scrutin. Nous croyons que tout changement au système canadien de vote par procuration devrait prendre en compte ces questions ainsi que les résultats de l’initiative de la SEC.
Conclusion
Nous partageons l’intérêt de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario pour les pratiques susceptibles de contribuer de manière importante à l’amélioration de la gouvernance d’entreprise au Canada. Même si nous appuyons l’idée d’une modification réglementaire en faveur du vote individuel pour l’élection d’administrateurs de sociétés canadiennes, nous croyons que les politiques de vote majoritaire devraient être considérées comme des pratiques exemplaires. Nous incitons les ACVM à évaluer l’intégrité du système canadien de vote par procuration avec le concours d’autorités réglementaires internationales. Selon nous, la question du say on pay n’a pas évolué au point qu’on puisse exiger des ACVM une modification réglementaire.
[1] Selon les statistiques et rendements nominaux des votes par procuration tenus au Canada en 2010 compilés par Broadridge, au cours des 12 mois se terminant le 30 juin 2010, Broadridge a traité 3 856 projets pour le compte d’émetteurs canadiens portant sur 196,3 milliards de titres et calculé des votes pour 79 milliards d’actions, soit 40,3 % des titres traités.
En vue de la rédaction cette lettre, l’IAS a constitué un groupe de travail composé d’administrateurs éminents et de spécialistes de la gouvernance d’entreprise provenant de partout au Canada. Les membres de ce groupe de travail sont :
Ian Bourne – Calgary – Administrateur de sociétés
Tom Chambers – Vancouver – Administrateur de sociétés
Peter Dey – Toronto – Administrateur de sociétés
Thierry Dorval – Montréal – Associé et responsable, Équipe de gouvernance et responsabilité des administrateurs, Ogilvy Renault
John McLennan – Mahone Bay, N-É – Administrateur de sociétés
Le soussigné présidait le groupe de travail, alors que Andrew MacDougall, associé chez Osler, Hoskin & Harcourt S.E.N.C.R.L./s.r.l.., agissait comme avocat-conseil auprès du groupe de travail.
Cette lettre reflète les opinions du groupe de travail, les interventions de nos sections régionales dans l’ensemble du Canada et elle a été approuvée par le conseil d’administration national de l’IAS.
Les membres de l’IAS partagent l’intérêt de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario à l’égard de la gouvernance d’entreprise et de l’évolution continue des pratiques jugées exemplaires en cette matière. Nous sommes heureux de l’occasion qui nous est offerte de nous exprimer sur les questions soulevées dans l’avis du personnel de la CVMO. Avant d’aborder ces questions, nous aimerions toutefois formuler deux commentaires d’ordre général.
D’abord, nous sommes d’avis que dans la plupart des cas, les chances d’avancement de la gouvernance d’entreprise au Canada passent plus par l’identification de pratiques exemplaires et par leur mise en œuvre au sein du marché que par l’imposition de règlements. Ceux-ci peuvent être rigides, entraîner des conséquences non voulues et s’avérer insensibles à la diversité des émetteurs qui y seront soumis. Nous croyons que les émetteurs doivent disposer de la souplesse nécessaire pour élaborer une approche de la gouvernance d’entreprise qui reflète leur situation particulière. Il est devenu banal de dire qu’en ces matières les mêmes recettes ne s’appliquent pas à tous, mais cela demeure néanmoins vrai. Il faut faire preuve de prudence avant de s’en remettre à des normes universelles ou à des règles normatives.
Deuxièmement, nous reconnaissons et appuyons l’affirmation contenue dans l’avis du personnel de la CVMO selon lequel le personnel entend coordonner son analyse et l‘élaboration de toute proposition avec les autres membres des Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM). Nous croyons fermement qu’il est essentiel que toute modification à la réglementation de la gouvernance d’entreprise soit l’objet d’un consensus au sein de toutes les commissions canadiennes des valeurs mobilières.
Scrutin de liste et vote majoritaire pour les élections des administrateurs sans opposition
Le personnel a identifié un certain nombre de questions sous cette rubrique et comme la terminologie utilisée n’est pas toujours constante lors des discussions, nous pensons qu’il est important de les considérer séparément. La première question soulevée à cet égard est de savoir si les actionnaires devraient avoir le choix de voter pour une liste de candidats ou de s’abstenir de voter (scrutin de liste) ou s’ils devraient pouvoir voter pour chaque candidat ou s’abstenir de voter (vote individuel).
La seconde question, qui se pose uniquement en cas de vote individuel des actionnaires, est de savoir si lorsqu’un ou plusieurs candidats administrateurs n’obtiennent pas plus de votes en leur faveur que d’abstentions, les administrateurs devraient être tenus de démissionner en vertu d’une politique de leur conseil (politique de vote majoritaire) ou ne pas être considérés comme élus (norme du vote majoritaire)
Scrutin de liste vs vote individuel pour les administrateurs
Nous sommes en faveur du vote individuel dans l’élection des administrateurs. La capacité de voter pour l’administrateur de son choix constitue un droit fondamental associé à l’actionnariat et nous soutenons le point de vue selon lequel un actionnaire ne devrait pas être placé dans la situation inconfortable d’avoir à voter « pour » certains administrateurs que les actionnaires n’appuient pas ou de ne voter pour aucun candidat alors qu’en fait, il peut désirer l’élection de plusieurs, ou peut-être même de la plupart, des candidats au conseil d’administration. Nous voyons d’un bon œil l’idée que si les actionnaires sont habilités à voter pour les candidats à titre individuel, ils se sentiront plus engagés dans le processus électoral. Nous reconnaissons aussi que le vote individuel dans le cadre de l’élection d’administrateurs peut susciter certaines réactions des actionnaires quant à l’aptitude d’un administrateur, car les actionnaires hostiles à un candidat ou aux décisions d’un comité d’administrateurs peuvent faire connaître leur insatisfaction en refusant de voter pour ce candidat ou pour les membres de ce comité.
Nous prenons acte du fait que l’élection d’administrateurs par vote individuel est pratique courante, n’impose aucun coût supplémentaire digne de mention et, parce qu’il ne nuit pas au processus d’élection, ne soulève pas les mêmes inquiétudes à l’égard de la composition du conseil qu’un vote majoritaire. Nous appuierions des changements à la forme de procuration prescrite en vertu du règlement 51-102 sur les obligations d’information continue qui rendraient obligatoire l’élection individuelle d’administrateurs.
Des politiques de vote majoritaire et une norme du vote majoritaire
Le fait que le vote majoritaire soit devenu un sujet brûlant au Canada répond, dans une large mesure, à l’écho des débats qui ont eu cours aux États-Unis sur la même question. Il existe toutefois des différences importantes d’enjeux entre les deux pays.
D’abord, l’adoption du vote majoritaire aux États-Unis est issue, en grande partie, des propositions des actionnaires alors que les entreprises canadiennes qui ont agi ainsi l’ont fait volontairement.
Deuxièmement, des dispositions des lois canadiennes sur les sociétés ont pour effet d’atténuer certaines des causes sous-jacentes de la frustration des investisseurs aux États-Unis qui ont poussé les actionnaires à proposer le vote majoritaire. Depuis maintenant de nombreuses années, la SEC étudie la possibilité d’adopter des règles permettant aux actionnaires de soumettre les noms de candidats au conseil pour qu’ils figurent dans la circulaire de la direction sollicitant des procurations, alors que les actionnaires de sociétés constituées en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions (LCSA) ou de lois provinciales sur les sociétés modelées sur la LCSA peuvent depuis longtemps soumettre de telles propositions. En outre, ces législations canadiennes sur les sociétés stipulent également que les actionnaires peuvent à tout moment, par résolution ordinaire, révoquer un administrateur et pourvoir le poste ainsi devenu vacant, alors que plusieurs législations aux États-Unis n’accordent pas un tel pouvoir aux actionnaires.
Troisièmement, une proportion importante des sociétés ouvertes canadiennes sont des entreprises sous contrôle pour lesquelles la valeur d’une politique de vote majoritaire ou une norme du vote majoritaire serait au mieux marginale.
Qu’il soit adopté dans le cadre d’une politique ou à titre de norme, le scrutin majoritaire soulève des préoccupations à l’effet (i) qu’il puisse résulter en une « élection ratée », c’est-à-dire qu’aucun administrateur n'est élu ou qu’un nombre insuffisant d’administrateurs est élu en disposant des attributs nécessaires pour répondre aux exigences statutaires de résidence d’un administrateur ou des exigences relatives à la nécessité d’avoir un comité de vérification composé d’au moins trois administrateurs indépendants ou (ii) qu’il puisse résulter en la perte d’administrateurs doués d’un ensemble de compétences particulières que le conseil juge nécessaires ou souhaitables. Ces préoccupations sont encore plus vives lorsque le scrutin majoritaire est adopté sous la forme d’une norme.
Même si nous appuyons l’adoption de politiques de vote majoritaire comme pratique exemplaire, nous ne croyons pas qu’il s’agisse d’une pratique utile pour les sociétés sous contrôle et nous reconnaissons qu’elle peut ne pas convenir à plusieurs petites et moyennes entreprises. Nous relevons qu’en dépit de l’élan considérable dont a joui le scrutin majoritaire aux États-Unis au cours des dernières années, des propositions en vue d’exiger des sociétés un seuil de scrutin majoritaire lors d’élections d’administrateurs sans opposition ont été ignorées dans les réformes de gouvernance de sociétés contenues dans la version définitive du Dodd-Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act (Loi Dodd-Frank). Selon nous, il serait prématuré d’envisager l’adoption d’une politique de scrutin majoritaire à titre obligatoire. Toutefois, nous soutenons l’adoption d’une politique de vote majoritaire comme pratique exemplaire et nous encourageons les conseils d’administration à réfléchir aux façons d’aborder la question des forts taux d’abstention lors de l’élection d’administrateurs.
Nous nous opposons à l’adoption d’une norme du vote majoritaire. De plus, nous notons que les normes de scrutin pour l’élection d’administrateurs de sociétés canadiennes relèvent du droit des sociétés et qu’en conséquence, on ne pourrait obliger les entreprises canadiennes à adopter une telle norme en vertu de la LCSA.
Vote consultatif des actionnaires sur la rémunération de la haute direction
Nous n’appuyons pas la mise en place d’une exigence de type obligatoire selon laquelle les émetteurs permettraient aux actionnaires de tenir un vote consultatif distinct sur la rémunération de la haute direction (communément appelé le say on pay) ou sur un « parachute doré ». C’est au conseil d’administration que revient la responsabilité d’approuver la stratégie et les pratiques de rémunération des dirigeants de la société, laquelle responsabilité doit être assumée en conformité avec l’obligation fiduciaire du conseil d’agir dans les meilleurs intérêts de la société. La responsabilité des actionnaires consiste à élire des administrateurs dont ils croient qu’ils s’acquitteront adéquatement de leur obligation fiduciaire dans les normes appropriées de diligence. Nous ne soutenons pas des pratiques qui, dans les faits, saperaient ou diminueraient les responsabilités du conseil d’administration à l’égard de la rémunération de la haute direction.
Les législatures qui ont adopté le say on pay ont généralement agi ainsi par réaction politique à un ensemble de scandales financiers et d’exaspération du public à l’égard de salaires injustifiés. Le say on pay a été adopté par le gouvernement britannique en réponse aux critiques du public à l’endroit de salaires faramineux versés en particulieraux dirigeants d’anciennes sociétés d’État récemment privatisées. La Loi Dodd-Frank etd’autres initiatives précédentes prises aux États-Unis en vertu du Plan Paulson (Troubled Asset Relief Program) peuvent toutes êtres considérées comme des réponses politiques à l’indignation du public à l’égard de la rémunération excessive des dirigeants, en particulier en ce qui concerne les primes de départ des chefs de la direction. Même si le Canada n’a pas été exempt de tels types de scandales, les exemples d’indignation publique à l’endroit des niveaux de rémunération des dirigeants ont été relativement peu nombreux. Il y a une raison à cela. Les niveaux de rémunération ont été historiquement bien plus bas au Canada qu’aux États-Unis ou au Royaume-Uni.
La rémunération des cadres exige des calculs stratégiques et complexes, une compréhension aiguë des rôles, responsabilités et personnalités des personnes en cause ainsi qu’un accès à des renseignements confidentiels et de nature délicate du point de vue de la concurrence. Par conséquent, il s’agit là d’une question que le conseil d’administration est mieux préparé à traiter. De plus, nous notons qu’un vote défavorable sur le rapport de rémunération de la haute direction ne fournirait aucun renseignement utile dans la mesure où les membres du conseil ne sauraient pas pourquoi les actionnaires ont voté contre la résolution.
L’argument le plus fort qui a été soumis en faveur du say on pay est celui selon lequel il pourrait améliorer le dialogue ou les communications avec les actionnaires (en particulier les institutions) afin d’identifier les problèmes susceptibles de se poser à l’égard du programme de rémunération des cadres. Cependant, certaines des grandes sociétés canadiennes ont abondamment consulté, dans le passé, les actionnaires institutionnels sur les questions de gouvernance et adopté volontairement des pratiques exemplaires en ce sens, comme l’a démontré encore tout récemment le fait que plusieurs conseils d’administration ont accepté de rencontrer individuellement la Coalition canadienne pour une saine gouvernance et que plusieurs sociétés ont adopté sur une base volontaire le scrutin majoritaire pour les politiques du conseil d’administration et des votes d’actionnaires sur la rémunération des dirigeants. La volonté des conseils d’administration de sociétés canadiennes de répondre aux préoccupations des actionnaires pourrait être le reflet d’une différence culturelle typiquement canadienne à l’égard des pratiques de gouvernance. Ainsi, les sociétés canadiennes ont tendance à avoir moins de dirigeants siégeant à leur conseil qu’au Royaume-Uni et les chefs de la direction d’entreprises canadiennes agissent rarement comme président du conseil d’administration, contrairement à ce qui se passe aux États-Unis. Selon nous, il n’est pas nécessaire d’adopter le say on pay à titre de mesure incitative favorisant un meilleur dialogue avec les actionnaires autour des questions de rémunération.
Bien que les conseils d’administration de diverses entreprises puissent décider d’adopter le say on pay de façon volontaire, nous ne croyons pas que le fait que d’autres pays l’aient adopté en réaction à l’indignation du public soit une raison valable pour que cette pratique ait cours au Canada. En décidant de ne pas adopter l’attestation d’un vérificateur de contrôle interne sur la communication de l’information financière (codifié aux États-Unis comme le chapitre 404 de la Sarbanes-Oxley Act of 2002), le Canada a reconnu qu’il ne s’agit sans doute pas du type de réglementation le plus approprié et a décidé d’adopter une autre approche. Celle-ci a été bien accueillie par la plupart des participants au marché des valeurs mobilières. Nous croyons que le say on pay est un autre exemple de la manière dont le Canada se distingue.
L’efficacité du système de vote par procuration
Les actionnaires jouissent d’un rôle particulier dans la gouvernance des sociétés canadiennes. Les actionnaires élisent les membres du conseil d’administration et choisissent les vérificateurs externes. En vertu des statuts d’entreprise, certaines questions d’importance fondamentale doivent être approuvées par les actionnaires, y compris les modifications aux articles et règlements, les fusions, les réorganisations et la vente en totalité ou en presque totalité des actifs de la société. De plus, les règles du marché boursier exigent que les actionnaires approuvent certaines transactions dilutives. L’exercice du droit de vote des actionnaires et la confiance des entreprises dans notre système de gouvernance des sociétés dépendent de l’efficacité et de l’intégrité d’un système en vertu duquel les actionnaires exercent leur droit de vote.
Nous prenons acte du fait que pour la plupart des scrutins de sociétés, le système actuel de vote par procuration fonctionne très bien, en particulier si l’on tient compte du fort volume de procurations traitées[1]. Dans les réunions contestées telles que les courses aux procurations, si le vote est serré, dans beaucoup de cas le processus de scrutin est soigneusement analysé au moyen d’un processus accusatoire, y compris le cas échéant par révision judiciaire, afin d’établir un résultat. Mais si l’évolution continue des pratiques exemplaires en matière de gouvernance d’entreprise devait accorder une place accrue au vote des actionnaires, ce qui pourrait susciter une augmentation de l’incidence des litiges, alors l’intégrité du système de vote par procuration devrait être analysée avant qu’une pression additionnelle s’exerce sur elle.
L’intégrité du système de vote par procuration n’est pas seulement un enjeu canadien.À la lumière du caractère international des activités d’investissement, il existe des limites pratiques à la capacité d’agir des organismes canadiens de réglementation, à l’intérieur même de leur juridiction, pour améliorer le vote par procuration. En outre, les règles qui s’appliquent au Canada doivent s’aligner sur celles d’autres pays qui représentent une source importante d’investissement de capitaux au Canada, ou tout au moins adopter une approche flexible afin d’éviter les conflits. Nous prenons note du fait que la SEC a émis récemment un document intitulé Concept Release on the U.S. Proxy System, lequel soulève des questions sur un certain nombre de préoccupations qui sont également pertinentes à l’égard du système canadien de vote par procuration, dont par exemple l’exercice des droits de vote par des actionnaires ayant peu ou pas d’intérêts économiques dans la société (ou « vote vide »), l’impact des ententes de prêt de titres sur le vote des actionnaires et le rôle des agences de conseillers en vote par procuration dans le processus de scrutin. Nous croyons que tout changement au système canadien de vote par procuration devrait prendre en compte ces questions ainsi que les résultats de l’initiative de la SEC.
Conclusion
Nous partageons l’intérêt de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario pour les pratiques susceptibles de contribuer de manière importante à l’amélioration de la gouvernance d’entreprise au Canada. Même si nous appuyons l’idée d’une modification réglementaire en faveur du vote individuel pour l’élection d’administrateurs de sociétés canadiennes, nous croyons que les politiques de vote majoritaire devraient être considérées comme des pratiques exemplaires. Nous incitons les ACVM à évaluer l’intégrité du système canadien de vote par procuration avec le concours d’autorités réglementaires internationales. Selon nous, la question du say on pay n’a pas évolué au point qu’on puisse exiger des ACVM une modification réglementaire.
[1] Selon les statistiques et rendements nominaux des votes par procuration tenus au Canada en 2010 compilés par Broadridge, au cours des 12 mois se terminant le 30 juin 2010, Broadridge a traité 3 856 projets pour le compte d’émetteurs canadiens portant sur 196,3 milliards de titres et calculé des votes pour 79 milliards d’actions, soit 40,3 % des titres traités.
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