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8 mai 2023

Faillite de la Silicon Valley Bank : quelles leçons devons-nous en tirer?

Par Prasanthi Vasanthakumar, Institut des administrateurs de sociétés

Le verdict est tombé : dans son rapport rétrospectif, la Réserve fédérale américaine a déclaré que la faillite de la Silicon Valley Bank (SVB) était due à l’insuffisance de sa surveillance et de ses réglementations. Toutefois, elle a également désigné le conseil d’administration de cette institution bancaire comme responsable pour ne pas avoir su gérer les risques. Cette déclaration confirme ainsi les observations de plusieurs experts depuis la chute de la SVB.

Lorsque la banque a implosé en mars dernier, elle a causé des ravages dans le secteur bancaire à l’échelle mondiale, provoquant la chute de la Signature Bank et remettant de l’huile sur le feu des scandales du Credit Suisse. Le 1er mai, c’était au tour de la First Republic Bank de s’effondrer, une chute laissant penser que d’autres faillites seraient possibles dans le secteur.

La SVB était l’une des nombreuses banques de moyenne envergure que comptent les États-Unis. À cause de l’augmentation des taux d’intérêt, la valeur de ses actifs a baissé de plusieurs milliards de dollars, suscitant la panique chez les déposants. Et lorsqu’une bonne vieille panique bancaire se déroule à l’ère numérique, on assiste alors à une véritable débandade : selon les estimations, les clients de la SVB ont retiré un total d’environ 40 milliards de dollars américains en seulement quelques heures. À titre de comparaison, lorsque la Washington Mutual s’est effondrée en 2008, les titulaires de compte avaient retiré 16,9 milliards de dollars américains en neuf jours.

Comment un conseil d’administration peut-il réussir à garder une longueur d’avance face au rythme effréné de notre époque? Alan Hibben, IAS.A, président du conseil, Home Capital Group Inc., et Ray Williams, IAS.A, vice-président du conseil, marchés financiers, Financière Banque Nationale, et administrateur, fondation du Collège George Brown, ont présenté leur point de vue : voici, d’après eux, à quoi les administrateurs doivent réfléchir au lendemain de la chute de la Silicon Valley Bank.

La trésorerie : le nerf de la guerre
Même si la Washington Mutual et la SVB divergeaient sur bien des points, ces deux banques se sont retrouvées à court de liquidités. Alan Hibben recommande donc aux conseils d’administration des banques de se concentrer davantage sur la trésorerie.

« Les entreprises ne font pas faillite à cause du capital », explique-t-il. « Toutes font faillite à cause de la trésorerie. » Une solide assise en capital peut donner un faux sentiment de sécurité, si le conseil de l’entreprise ne fait pas attention aux autres risques, comme les liquidités et la stratégie.

L’importance de la stratégie
M. Hibben conseille également vivement aux organisations (qu’elles œuvrent au sein du secteur bancaire ou non) de prendre le temps qu’il faut pour examiner les risques inhérents à leur stratégie. Prenons l’exemple d’une banque qui se concentre sur les prêts accordés à l’industrie forestière et les dépôts des entreprises de ce secteur. Si tous les compteurs virent au rouge simultanément, elle pourrait se retrouver dans une très mauvaise passe. « Vous devez faire attention à votre stratégie, pour que les événements ne puissent pas mettre à mal à la fois vos actifs et vos passifs dans votre bilan », précise-t-il.

Et il est vrai que l’un des risques inhérents au modèle commercial de la Silicon Valley Bank résidait dans la concentration de sa clientèle. Gary Zimmerman, associé directeur, Six Trees Capital LLC, souligne que le taux de concentration de la SVB était élevé : sa clientèle se composait majoritairement d’entreprises en démarrage dans les secteurs de la santé et des technologies, qui se connaissaient toutes et dont les dépôts dépassaient largement les limites couvertes par les assurances.

« Si l’on compare une panique bancaire à un feu de forêt avec beaucoup de grands arbres très proches les uns des autres, alors ce risque de concentration est un briquet. Il suffit d’une seule étincelle pour que tout s’embrase », expliquait M. Zimmerman dans un webinaire organisé par la National Association of Corporate Directors (NACD)1.

En plus de ce risque de concentration, le modèle commercial de la SVB renfermait un risque de corrélation. En raison de taux d’intérêt élevés, certaines entreprises en démarrage ont failli au remboursement de leurs prêts, alors même que les financements de nouvelles entreprises ont diminué. « Malheureusement, tout s’est effondré de façon vertigineuse », déplore-t-il.

La question de Twitter et des technologies numériques
Twitter est désigné coupable de bien des maux en ce moment, et la chute de la SVB ne fait pas exception. Même si les rumeurs qui circulaient dans des salons de clavardage et groupes de messagerie privés en ligne ont peut-être condamné la banque dès le début, une nouvelle étude a démontré que les médias sociaux ont jeté de l’huile sur le feu. D’après ses auteurs, les médias sociaux sont « un nouveau canal de risque de panique bancaire ».

Les technologies numériques permettent aux mauvaises nouvelles de se propager plus vite et plus largement, mais aussi aux personnes concernées d’agir rapidement. M. Hibben met ainsi en lumière un autre risque que les entreprises doivent entrevoir : la nature instantanée des transactions.

« Aujourd’hui, on n’a plus besoin de se rendre à la banque pour récupérer son argent », rappelle-t-il. « Il suffit d’appuyer sur un bouton et l’argent est transféré. Si vous travaillez dans le secteur bancaire, cette situation vous laisse peu de temps pour vous retourner. Vous devez ainsi vous concentrer encore davantage sur votre trésorerie. »

La Réserve fédérale américaine serait certainement d’accord avec lui. Dans son rapport, elle souligne que les médias sociaux et les technologies ont « radicalement changé la vitesse à laquelle se propage la panique bancaire ». Cette réalité implique que les administrateurs ont encore moins de marge de manœuvre pour recevoir de l’information critique et agir en conséquence. Elle nous rappelle aussi que la gouvernance ne dort jamais : être administrateur, c’est un travail de tous les instants2.

Maîtriser la gestion des risques
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Nombreux sont ceux qui ont spéculé sur l’expertise du conseil d’administration de la SVB et sur son absence de chef des risques. Une chose est certaine, cependant : les conseils d’administration doivent prendre la gestion des risques au sérieux.
« Le conseil assume une responsabilité vitale concernant l’évaluation des risques », insiste Ray Williams.

« Quel type de gouvernance des risques a-t-il mis en place? D’après moi, il faudrait s’impliquer davantage dans l’évaluation des risques et la promotion d’une solide culture de gestion de ces risques au sein de l’organisation. »

Pour les conseils d’administration, une culture saine de gestion des risques découle d’une conception adaptée, qui inclut le goût du risque et la capacité à prendre des risques.

« Il s’agit de concevoir votre culture autour des objectifs que vous visez, tout en vous assurant de suivre les bonnes étapes pour protéger les intérêts des parties prenantes », explique M. Williams. « Vous devez vérifier en continu votre stratégie, car [votre entreprise] est presque un être vivant [et] elle fonctionne au sein d’un environnement en constante évolution. »

Champ obligatoire : Un chef des risques
Pour mieux comprendre cet environnement changeant, le conseil d’administration a besoin d’un chef des risques (CRO) possédant des compétences et des ressources adéquates, ainsi que d’une indépendance et d’une autorité suffisantes. Dans le cas de la SVB, le poste de CRO est demeuré vacant pendant la majeure partie de l’année 2022, alors que les pertes d’investissement s’accumulaient3. Bien que les réunions du comité des risques du conseil d’administration aient plus que doublé pour atteindre 18 au cours de cette période, les administrateurs ne peuvent pas remplir le rôle du chef des risques. Comme le souligne le rapport de l’IAS et du Groupe TMX : « c’est exactement parce que les administrateurs ne sont pas concernés par les pressions des opérations quotidiennes qu’ils peuvent fournir une vision plus mesurée et plus prévoyante des risques auxquels l’entreprise peut être confrontée »4.

Champ obligatoire : Forte expérience du risque
Les conseils d’administration des banques ont également besoin d’un comité des risques capable de remplir des fonctions de surveillance essentielles, telles que la définition du goût du risque, l’examen des rapports et le contrôle de la conformité.

La SVB a échoué dans ce domaine parce que son comité des risques n’avait pas de président en 2022 et que ses membres ne possédaient pas l’expertise nécessaire. Ce manque d’expérience n’est toutefois pas un facteur unique à cette banque déchue. Les membres du comité des risques de 15 banques aux États-Unis n’ont en moyenne que 2,4 années d’expérience dans une fonction liée aux risques, comparativement aux membres du comité de vérification qui possèdent 9,5 années d’expérience dans un rôle pertinent5.

Évaluer l’expertise
Pour éviter de subir le même sort que la SVB, les conseils d’administration des banques et d’autres organisations doivent envisager d’évaluer leur expertise globale en matière de risques. Les membres du conseil d’administration ont-ils déjà guidé des entreprises en période de crise? 6 Ont-ils déjà siégé dans un comité des risques ou occupé une fonction liée aux risques, telle que CRO, chef du crédit ou responsable de la conformité? Gary Zimmerman note également que de nombreuses sociétés fermées ont des conseils d’administration petits et isolés qui pourraient bénéficier d’une diversification, notamment en ajoutant des administrateurs indépendants.

Le mouvement d’ESG est pris dans la mêlée
La Réserve fédérale américaine attribue l’implosion de la SVB à un « cas typique de mauvaise gestion », mais certains commentateurs ont utilisé cet échec pour critiquer le mouvement environnemental, social et de gouvernance (ESG). Ron DeSantis, candidat républicain à l’élection présidentielle, a affirmé que la banque était « tellement préoccupée par l’IED, la politique et toutes sortes de choses… qu’elle a été détournée fortement de sa mission principale », tandis qu’un éditorialiste du Wall Street Journal a supposé que la diversité du conseil d’administration de la banque faisait partie du problème.

Parmi ces affirmations non fondées sur le rôle de l’ESG dans la chute de la SVB, il convient de rappeler que les recherches montrent régulièrement que des équipes de direction diversifiées améliorent les performances d’une entreprise.

Ray Williams remet la question dans son contexte en s’appuyant sur les principes fondamentaux de l’investissement.

« Toute personne qui s’est intéressée aux investissements a probablement entendu dire qu’il fallait diversifier son portefeuille », explique-t-il. « Si l’on considère la diversité, quel est le principal atout d’une organisation? Ce sont les employés. Pourquoi ne voudriez-vous pas diversifier votre actif le plus précieux? »

La vie après la SVB
Dans un contexte de polarisation croissante, il est peu probable que le débat sur l’ESG ralentisse. En même temps, les conseils d’administration doivent faire face à la rapidité accrue des risques liés au marché et à la technologie, tout en renforçant leur propre expertise en matière de risques. Cela nous dit que les administrateurs ont du pain sur la planche.

Pour d’autres points de vue canadiens sur la chute de la Silicon Valley Bank, lisez l’article « The Dilemma » dans notre prochain numéro de mai/juin du Director Journal.
 
Sources
National Association of Directors. Webinaire : Implications of the SVB Collapse for All Board Members. (2023)
2 Forbes. “Big Picture” Governance Lessons From The SVB Implosion. (En anglais seulement) (2023)
Harvard Business Review. How Banks Can Finally Get Risk Management Right. (En anglais seulement) (2023)
4 Groupe TMX et Institut des administrateurs de sociétés. L’avenir de la gouvernance des sociétés canadiennes : une approche raisonnée pour répondre aux attentes croissantes envers le conseil d’administration. (2022)
Directors and Boards. Silicon Valley Bank Collapse: Lessons for Boards. (En anglais seulement) (2023)
Chief Executive. SVB’s Failure Reminds Boards To Prioritize Risk Management. (En anglais seulement) (2023)
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