27 janvier 2023 Dépêches de Davos : Points à retenir pour les conseils d’administration Références photographiques : World Economic Forum/Boris Baldinger By Prasanthi Vasanthakumar, Institute of Corporate Directors Après deux années de pandémie en sourdine, le rassemblement annuel des personnalités riches et puissantes a repris de plus belle dans les Alpes suisses. Quelque 2 700 dirigeants de 130 pays, dont 52 chefs d’État et 600 chefs de direction, se sont rendus à Davos pour discuter du thème « Coopérer dans un monde fragmenté » lors de la 53e réunion annuelle du Forum économique mondial (FEM), qui a eu lieu du 16 au 20 janvier 2023. Cette année, les experts ont prédit une avalanche de cyberattaques. Un collectif mondial, constitué de 500 chefs de direction et de leurs sociétés, a publié le document ESG & Disability Data: A Call for Inclusive Reporting (Données sur les facteurs ESG et les handicaps : un appel à la production de rapports inclusifs) afin d’inciter les sociétés à adopter cinq indicateurs clés de performance rendus publics pour l’inclusion des personnes en situation de handicap. Le terme « polycrise » est né pour évoquer des situations d’urgence mondiales convergentes, de la guerre en Ukraine à l’inflation galopante en passant par la hausse des émissions de carbone et les troubles sociaux. Mais les administrateurs étaient aussi sous la loupe. Lors de la séance « Time for boards to sharpen up » (Il est temps pour les conseils d’administration de passer à la vitesse supérieure), Mark Carney, envoyé spécial des Nations Unies pour l’action climatique et les finances et administrateur de société, a demandé à Nicolai Tangen, chef de la direction de Norges Bank Investment Management, ce qu’il attendait des conseils d’administration. En tant que chef de la direction de l’un des plus grands fonds souverains du monde, qui compte plus de 1,2 billion de dollars d’actifs, et qui détient des parts dans 9 000 sociétés réparties dans 70 pays, M. Tangen croit que les conseils d’administration doivent se ressaisir sur le plan du climat, de la rémunération des dirigeants et de la diversité. Recherché : Un plan climatique crédible D’après M. Tangen, seulement 17 % des sociétés figurant dans le portefeuille du fonds ont un plan de carboneutralité crédible. Il attend des sociétés qu’elles disposent au moins d’un plan crédible, doté de cibles et de sous-cibles. Les responsables du fonds discutent activement de cette question avec les retardataires climatiques. « Nous pensons qu’il s’agit d’un risque important pour toutes ces sociétés, affirme M. Tangen. En effet, dans un monde inhabitable, la valeur du fonds souverain est nulle. » M. Tangen attribue la forte levée de boucliers contre les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) aux États-Unis à un lobby pétrolier et gazier plus loquace, enhardi par la hausse des prix de l’énergie. Il fait également remarquer que certains investisseurs considèrent à tort les facteurs ESG comme étant un luxe que l’on peut ignorer dans les périodes difficiles. « Nous croyons que ces facteurs [ESG] sont extrêmement importants, déclare M. Tangen. Il faut donc en tenir compte tout le temps. » Toutefois, M. Carney souligne que les plans de transition vers la norme carboneutre sont relativement nouveaux, tout comme les meilleures pratiques dans ce domaine, ce qui laisse un vide documentaire sur le marché. « Il y aura une incroyable possibilité de valeur ajoutée », dit-il. À tout le moins, les conseils d’administration doivent disposer des bons renseignements pour déterminer dans quelle mesure leurs organisations peuvent atteindre les objectifs en matière de carboneutralité. « Il s’agit de protéger vos intérêts avant de faire partie de la solution qui consiste à fournir aux gens ce qu’ils veulent », explique M. Carney. Hors de contrôle : Rémunération des dirigeants En 2021, le salaire moyen d’un chef de la direction d’une société de l’indice S&P 500 a augmenté de 17 % pour atteindre 15 millions de dollars américains. Dans de nombreux cas, ces augmentations ne s’accompagnent pas d’une création de valeur à long terme. Mais pour M. Tangen, la taille importe moins que la structure. Il tient à ce que la rémunération des dirigeants soit liée à la création de valeur, qu’elle soit structurée de manière à être acquise sur une longue période et qu’elle soit fondée sur des actions plutôt que sur des options. Les responsables de son fonds votent de plus en plus souvent contre les régimes de rémunération qui ne répondent pas à ces critères. En outre, ils examinent de près la structure des régimes de rémunération des chefs de la direction qui sont de 20 millions de dollars américains ou plus. « Il n’y a jamais eu de pire moment pour afficher cette cupidité d’entreprise », déclare M. Tangen. En raison de la crise [du coût de la vie], ce n’est tout simplement pas la bonne chose à faire en ce moment. » M. Tangen plaide depuis longtemps en faveur de la séparation des fonctions de chef de la direction et de président du conseil d’administration afin de mieux gérer la rémunération des dirigeants et d’assurer une gouvernance plus saine. « Sinon, vous négociez en quelque sorte avec vous-même en tant que chef de la direction », dit-il. Cela ne donne généralement pas de bons résultats. » En dehors de Davos, nombreux sont ceux qui s’inquiètent, comme M. Tangen, de la rémunération des dirigeants. Au pays, un critique a constaté que la rémunération des chefs de la direction est hors de contrôle et a réclamé le recours à un impôt sur la fortune pour uniformiser les règles du jeu. Un autre critique a fait remarquer que la rémunération des dirigeants est justifiée en raison du poids des responsabilités du chef de la direction, mais a exhorté les conseils d’administration à mieux responsabiliser les dirigeants par le biais de structures de rémunération à multiples facettes qui récompensent la performance et pénalisent l’échec. Dans un contexte d’inégalité croissante des revenus et de récession imminente, les questions difficiles sur la rémunération des dirigeants ne sont pas près de disparaître. La diversité des conseils d’administration fait défaut Selon M. Tangen, les conseils d’administration doivent compter au moins 30 % de femmes. « Les sociétés dont le conseil d’administration est diversifié prennent tout simplement de meilleures décisions », affirme-t-il. Pour recruter des administrateurs diversifiés, M. Tangen conseille vivement aux conseils d’administration de se tourner vers différents segments de la société au lieu de puiser dans leurs réseaux habituels. Les responsables de son fonds votent également contre les administrateurs qui siègent à un trop grand nombre de conseils, en partie pour laisser la place à de nouvelles personnes, mais aussi pour s’assurer que les administrateurs ne sont pas surchargés et qu’ils peuvent contribuer activement à leur conseil. Ces idées ne sont pas propres à M. Tangen ou à Davos. Le Groupe TMX et l’Institut des administrateurs de sociétés ont commandité un rapport intitulé « L’avenir de la gouvernance des sociétés canadiennes : une approche raisonnée pour répondre aux attentes croissantes envers le conseil d’administration ». Ce rapport encourage les conseils d’administration à être composés de membres dont au moins 40 % s’identifient comme des femmes et au moins 40 % s’identifient comme des hommes, faisant ainsi une place aux personnes de la communauté 2SLGBTQ+. Au sein des conseils d’administration, il faut en outre compter une représentation d’au moins 30 % de personnes issues de groupes ethniques sous-représentés, de personnes autochtones du Canada et de personnes en situation de handicap. Le rapport recommande par ailleurs de limiter la durée des mandats à 12 ans, en partie pour favoriser une plus grande diversité au sein d’un conseil d’administration. À mesure que les appels à la diversité des conseils d’administration se multiplient, il deviendra de plus en plus difficile pour les administrateurs de ne pas en tenir compte, surtout lorsque des investisseurs comme M. Tangen votent contre des conseils d’administration dont les membres se ressemblent tous. Références photographiques : World Economic Forum/Sikarin Fon Thanachaiary Une évolution lente, mais positive Bien que M. Tangen soit critique à l’égard de nombreux conseils d’administration, il reconnaît que des progrès ont été réalisés. Au cours des dix dernières années, la proportion de conseils d’administration au sein desquels le chef de la direction occupe également la fonction de président est passée d’environ 45 % à 35 %, dit-il. Il y a six mois, seulement 10 % des sociétés du portefeuille de son fonds disposaient d’un plan climatique crédible, tandis qu’aujourd’hui, 17 % en ont un. Et après avoir discuté avec certaines sociétés contre lesquelles son fonds a voté, M. Tangen peut constater une réduction au chapitre de la rémunération des dirigeants. « Je crois que ce dialogue fonctionne bien », affirme-t-il. En somme, c’est cet esprit de coopération et de collaboration que l’édition 2023 du FEM de Davos a tenté de véhiculer. En effet, le rendez-vous annuel du FEM est souvent critiqué pour ses fêtes au champagne, ses avions privés et sa liste d’invités de marque, tout comme sa pertinence qui est de plus en plus remise en question. Cependant, en tant que scène mondiale réunissant des acteurs de premier plan pour discuter et débattre des problèmes de notre époque, elle constitue toujours une tribune intéressante. Les administrateurs voudront peut-être réfléchir à la manière dont les thèmes de l’édition 2023 s’appliquent à leur organisation. Si le monde est réellement sur le point de traverser une polycrise, les conseils d’administration doivent apporter à leurs organisations autant de prévoyance et de perspicacité que possible. Partager